Blog • Commérages au village

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Serbie, note du 19 août 2022

Cuisine d’été (Ašanja, 2019)
© Andrijana Milosev

Avec Baba, nous allons rendre visite à son amie Milanka qui habite dans notre rue. Aveuglées par le soleil, assourdies par la chaleur, nous nous réfugions vite dans son obscure maison climatisée. Elle nous fait asseoir et part à la recherche d’un casse-dalle dans ses placards. Quand elle nous invite à nous servir, ça ressemble plutôt à un ordre. Moi je fais pas la timide, pendant que Baba refuse ses invitations. Et lorsqu’elle cède, la voilà qui épilogue sur l’acidité du jus généreusement offert. Milanka, quant à elle, continue d’insister sur un ton autoritaire. Cette dispute n’en a que l’apparence, puisqu’elle nous fait en réalité l’économie d’hypocrites politesses.

Les conversations s’intéressent aux potins du village. En troisième position, les chiens errants qui ont égorgé les poules du voisin. C’est devenu viral. La veille, on en a aussi parlé chez les Lukacović. En deuxième position, petite sanction morale pour les Bojanić. La matriarche Marija y est sur son lit de mort – c’est accessoirement leur meilleure copine. Finies pour elle les sessions de commérage. Alitée depuis plusieurs semaines, elle a perdu l’usage de la parole et passe ses journées seule à contempler le vide d’un œil misérable. La famille songe à vendre une parcelle de terre pour envoyer Marija dans une maison de retraite. Honte à cette famille qui maltraite la mourante, mais qui alimente juteusement les commérages. Et en première position, on quitte son affliction pour habiller son visage d’un air espiègle. C’est l’heure de la méchanceté gratuite : « Jesi videla kako je ta nikakva ? Ako je staviš u vinograd, nebi falila ni jedna bombica » (T’as vu comme elle est maigrichonne, celle-là ? Si tu la fous dans les vignes, il manquerait pas un raisin). Baba rappelle presque aussitôt « Nije ona lepa, ko mi » (elle est pas aussi belle que nous).

Baba et Nemanja au poulailler (Kupinovo, 1995).
© Andrijana Milosev