Blog • 10 février, chronique d’une journée de commémoration des foibe

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Chronique d’une journée de célébrations pour le 10 février, journée de la mémoire pour les victimes des foibe et de l’exode julien-dalmate en Italie.

La fosse de Basovizza, près de Trieste
© Laurent Geslin / CdB

Cette année encore, la journée de la mémoire pour les victimes des foibe et les réfugiés de Dalmatie Julienne a été célébrée en Italie avec des initiatives adressées aux écoles visant à informer les étudiants pour éviter l’indifférence, dont ces événements faisaient l’objet dans le passé, et les immanquables polémiques déclenchées depuis seize années par un lois de l’Etat italien. Chronique de cette journée de mémoire dans une ville du nord de l’Italie.

Peut-être parce que l’initiative s’est déroulée dans une ville de moyenne ampleur, j’ai eu la chance de participer à une célébration discrète qui s’est déroulée sous des modalités mesurées, dans la foulée d’une série d’initiatives locales visant à rappeler, quelques jours avant, la journée de la mémoire pour les victimes de l’holocauste. Une série de « liturgies » civiles, comme elles ont été nommées par le maire, se déroulant avec la pose de pierres commémoratives en ville à la mémoire d’un citoyen militaire interné dans un champ d’extermination en Allemagne et d’une famille juive réfugiée dans la ville et de la ville enlevée pour être tuées dans un champs d’extermination.

La célébration à laquelle j’ai participé, a été le dépôt d’une couronne de fleurs devant la pierre commémorative posée seize ans plus tôt dans un jardin public de la ville, dédiée à Norma Cossetto, jeune fille italienne vivant en Istrie tuée dans une foiba en octobre 1943.

Dans son discours, le maire a utilisé le mot « inénarrable » pour définir la méthode d’exécution des foibe, ainsi que toutes les atrocités commises dans la région après le 8 septembre 1943. Le Président du Comité local de l’Association des réfugiés juliens dalmates a, au contraire voulu rappeler les détails de la mort de Norma Cossetto, tout comme l’indifférence et la négation à laquelle les événements de l’exode ont été traité en Italie avant l’institution de la journée nationale de la mémoire.

Ce jour-là, à part les représentants de forces armées, des associations locales et de la Mairie il y avait très peu de public, quelques gens âgées, plutôt que des réfugiés, des descendants de réfugiés, quelques jeunes gens à la suite de la Mairie des jeunes et un professeur. Il pouvait bien y avoir encore quelqu’un qui ne connaissait pas les détails de la mort de Norma, mais en tant que femme j’ai trouvé excessif rappeler encore tout cela, mais évidemment c’était fait pour renseigner les jeunes.

Aux jeunes était aussi adressée l’autre manifestation en programme liée à cette première, consistant dans un spectacle théâtrale en matinée pour permettre la participation des écoles. J’ai eu l’occasion de pouvoir participer à celui aussi. Le maire, toujours présent, s’est adressé directement aux étudiants leur rappelant leur chance à eux d’être présent à la matinée et de pouvoir se renseigner sur des événements longtemps cachés en Italie.

Le spectacle était un monologue, l’acteur dans un préambule, répété tel quel en guise de conclusion, a rappelé ce que c’était les foibe et comment elles avaient été utilisées à des fins d’exécution nommant le traitement que les victimes subissaient avant. Au milieu la pièce, dont l’histoire a été tirée et adaptée pour le théâtre d’un des romans qui ont été écrit sous l’emprise du jour de la mémoire par un auteur qui a produit une trilogie, un livre pour chaque ville de l’exode : Pula, Rijeka et Zadar, dont on a déjà parlé sur les pages du Courrier des Balkans.

A la fin de la représentation, je me suis réjouie lorsque j’ai découvert que celle à laquelle j’avais assisté était la version amadouée pour les matinées des étudiants, la version plus crue, destinée à un publique adulte, étant réservées aux soirées. Personnellement, la version matinale m’avait déjà suffi, le soir avant, la chaîne télévisée publique avait transmis un film sur la mort de Norma Cossetto, dont j’en ai abandonné la vision à la première scène de viol.
Encore une fois, j’ai pensé que peut être la nécessité d’être renseigné, justement parce que pendant des années ces informations ont été cachés, cochait avec le sensationnalisme et la spectacularisation d’aujourd’hui, non pas parce que la vérité nue et crue ne soit pas nécessaire, la vérité est neutre, c’est l’usage que l’on en fait qui peut devenir pernicieux et instrumentalisé.

Et j’ajouterais aussi que c’est de la vie des hommes et des femmes et de leur souffrances que l’on parle et qu’il faudrait avoir pitié pour ces gens et non les faire l’objet de spéculation. Je dis ça parce qu’une partie de ma famille était composée des réfugiés juliens dalmates. Ils ont vécu en Italie à l’époque où l’on ne parlait pas de l’exode et des foibe, au contraire, quand il valait mieux ne pas dire qu’ils étaient des réfugiés et discrètement, comme ils sont venus en Italie avec rien avec eux, ils en sont partis et moi leur neveu, je les ai vu toujours humbles, laborieux et très unis, parce qu’ils étaient seuls et sans moyens et ils pouvait compter uniquement sur eux-mêmes. Non seulement, l’autre partie de ma famille, ceux qui sont restés, ont eu eux aussi une vie difficile, parce qu’ils ont vécu l’après-guerre encore trouble et violent jusqu’au 1947 en Istrie et ils ont enduré le régime yougoslave et après encore les guerres pour la dissolution de l’ancienne Yougoslavie.

A mon avis, une véritable journée de la mémoire, non instrumentalisée politiquement et non spectaculaires par les médias, devrait être organisée par trois pays : l’Italie, la Slovénie et la Croatie, parce que dans les foibe n’ont pas été tués que des Italiens, mais aussi des membres des populations slaves autochtones, ainsi qu’en exode ne sont pas partis uniquement les Italiens, mais aussi les membres des familles mixte comme la mienne.