Blog • R.M.N. : le dernier film de Cristian Mungiu

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R.M.N., le dernier film de Cristian Mungiu, vient de sortir dans les salles en France : « Implacable » (Télérama), « Magistral » (la Croix), « Impitoyable » (le Figaro). Décidément…

De prime abord, le titre du dernier film de Cristian Mungiu, R.M.N., est autrement plus énigmatique que celui qui lui avait valu en 2007 la Palme d’or à Cannes : 4 mois, 3 semaines et 2 jours. Mais, cette fois-ci, pour le spectateur francophone, le mystère s’éclaircit rapidement, R.M.N., « Rezonanţă Magnetică Nucleară », étant l’équivalent en roumain d’I.R.M. « La Roumanie au scanner de Cristian Mungiu » : voilà comment Maroussia Dubreuil intitule son article dans le Monde du 19 octobre tout en précisant en sous-titre : « Le cinéaste dissèque les peurs et la xénophobie d’un village confronté à l’arrivée des travailleurs étrangers ».

Pour ce qui est des peurs et de la xénophobie des villageois confrontés à l’arrivée des travailleurs étrangers, la démonstration de Cristian Mungiu est sans doute implacable, magistrale, impitoyable. En revanche, ce qui est démontré ne résulte pas pour l’essentiel de ce qui est montré, du récit imaginé par le réalisateur, des instants saisis de la vie des personnages au destin incertain qui s’y croisent, des mystères qu’ils traînent derrière eux sur fond de forêts enneigées hantées à couper le souffle… Ceux-ci semblent être là surtout pour annoncer, préparer la démonstration mise en scène à la fin du film. C’est tout au moins la réserve que j’émettrais alors que j’avais beaucoup aimé ses films précédents, Au-delà des collines surtout et Baccalauréat, dont j’ai rendu compte dans une chronique à sa sortie.

A l’origine de R.M.N., il y a un fait divers assez particulier, fortement médiatisé en Roumanie et au-delà puisqu’il confirmait à sa façon certains stéréotypes sur ce pays alimentés par la ruée vers l’Ouest de ses habitants pour échapper à la misère ou à la recherche de revenus décents, les tensions entre Roumains et Hongrois, ou la situation des Roms. Les habitant/e/s - hongrois/e/s pour la plupart - d’une commune (Ditrău) située dans un département (Harghita) également à majorité hongroise se sont soulevés contre l’embauche de deux Sri-Lankais dans une boulangerie semi-industrielle. En effet, personne d’autre ne s’était présenté pour ce travail, payé au tarif courant dans la région, c’est-à-dire mal. Cet argument légal apporté par le patron, ethnique hongrois lui aussi, ne dissuada pas les protestataires épaulés par le curé romano-catholique. Choqué, comme il l’avoue lui-même [1], par le fait qu’« une minorité nationale elle-même en butte aux préventions (…) se retourne à son tour contre une autre minorité », Cristian Mungiu s’empara du sujet. Cependant, pour ne pas « diaboliser » la communauté hongroise, il modifia la composition ethnique de la commune en ajoutant des Roumains (orthodoxes) et quelques Allemands (Saxons, luthériens). Lieu idéal pour mettre le projecteur sur l’attitude raciste partagée par les uns et les autres, ennemis jurés souvent par ailleurs, à l’égard des travailleurs étrangers (et des Roms, absents du film mais évoqués à maintes reprises), le village multiethnique transylvain dans lequel le réalisateur campe l’action n’est pas moins quelque peu artificiel, et c’est probablement cela qui m’a le plus gêné.

Dans R.M.N., le fait divers n’est pas seulement le point de départ mais aussi d’arrivée

Au-delà des collines avait aussi comme point de départ un fait divers, encore plus effrayant, qui avait fait d’ailleurs le tour du monde : une jeune nonne meurt crucifiée après avoir été exorcisée. Mais, progressivement, le souvenir du fait divers barbare s’éloigne et le jeu des acteurs dévoile des ressorts inattendus du drame qui cesse d’apparaître comme une simple dénonciation des pratiques orthodoxes douteuses en temps de crise. Dans R.M.N., le fait divers n’est pas seulement le point de départ mais aussi d’arrivée. Le récit cinématographique, les histoires singulières des personnages suggérées avec un art consommé par Cristian Mungiu, s’éclipsent devant la scène finale, pour donner toute sa place au débat organisé dans la salle de la mairie où les participants se donnent à coeur joie aux propos les plus haineux et aux raccourcis en tout genre d’autant plus pernicieux que ponctués de raisonnements prétendument de bon sens. Les dix-sept minutes consacrées à ce débat sont la force du film, et le fait qu’il soit délibérément politique, c’est tout à l’honneur de Cristian Mungiu. Après s’être longtemps documenté sur place, il n’a d’ailleurs pas hésité de retourner projeter son film devant les participants à la fameuse réunion publique reconstituée avec un réalisme sidérant. Raison de plus pour ne pas s’en tenir à mes réserves et se faire une opinion par soi-même en allant voir le film.

Notes

[1Entretien accordé à Jacques Mandelbaum dans le Monde daté du 19 octobre.