Kosovo : l’accès à l’information, un droit que tout le monde bafoue

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Sur le papier, la loi kosovare sur le droit à l’information est l’une des meilleures. Pourtant, dans les faits, la situation se révèle des plus problématique. Face aux blocages et aux pressions, les journalistes préfèrent souvent abandonner leurs enquêtes. Certains continuent néanmoins à se battre.

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Par Furtuna Sheremeti

D.R.

Albert Einstein définissait la folie comme le fait de « faire toujours la même chose en attendant des résultats différents ». Le concept peut s’appliquer à bien des questions au Kosovo comme dans tous les Balkans occidentaux... Mais aussi aux journalistes kosovars qui peinent à obtenir des informations auprès des institutions publiques, malgré le cadre juridique adapté qui les y autorise.

Le droit à consulter les documents publics est fondamental pour réussir à obtenir la protection d’autres droits, pour préserver la démocratie et favoriser le développement d’un pays. En vertu de diverses conventions des droits humains, ce droit revient à tous les citoyens, au-delà des seuls journalistes. La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (que le Kosovo a ratifiée) précise même que le droit « à demander, à obtenir et à donner des informations » fait partie du droit universel à l’expression et à la pensée.

Au Kosovo, une série de lois et de réglementations, dont la Constitution (Article 41) et une Loi relative à l’accès aux documents publics, régissent les droits et procédures d’accès aux documents officiels. Les journalistes font référence à cette loi depuis de nombreuses années, mais elle ne leur ouvre pas toujours les portes et, malheureusement, ils s’y sont habitués.

La loi

Sur papier, le Kosovo, possède l’un des meilleurs cadres institutionnels concernant l’accès à l’information. Tous les citoyens, et encore plus les journalistes, devraient connaître leurs propres droits. La transparence maximale et la protection de la vie privée restent les pierres angulaires de la législation sur l’accès aux documents publics, en accord avec les standards internationaux.

La Loi relative à l’accès aux documents publics a été approuvée en décembre 2010 et jette les fondements d’autres lois stipulant que toute personne physique ou juridique (institutions, entreprises, etc.) a droit à accéder, à sa demande, aux documents adoptés, en discussion ou reçus par les institutions publiques.

Ce droit peut être limité par certaines exceptions mentionnées spécifiquement par l’article 12, qui fournit onze critères interdisant légitimement l’accès aux informations, telles que celles relatives au secret défense et aux relations internationales, aux intérêts commerciaux ou économiques, à la vie privée et à d’autres intérêts individuels légitimes. Chaque réponse négative doit être motivée.

La loi impose en outre aux institutions publiques de nominer une unité de fonctionnaires chargés de recevoir et d’analyser gratuitement et rapidement les demandes d’informations. Pour plus d’efficacité, une personne doit être chargée de s’assurer de la mise à jour des informations sur le site internet de chaque institution publique. Celles-ci doivent être équipées d’un service de messagerie électronique pour pouvoir échanger avec les citoyens. Consulter des documents publics, au siège de l’institution ou en ligne, doit aussi être possible gratuitement.

Pour garantir la pleine transparence, chaque institution publique est tenue de rédiger un rapport annuel qui doit inclure le nombre de cas où l’institution a refusé l’accès aux documents et les raisons de ce refus. Ce rapport est envoyé fin janvier à l’unité dédiée au sein du gouvernement de la République du Kosovo ou bien au bureau du Premier ministre.

Mais en pratique...

Théoriquement, l’accès aux documents publics est donc assuré et devrait fonctionner aisément. Toutefois, en pratique, les requêtes d’accès aux documents publics sont souvent rejetées sur des motifs infondés.

Une des questions cruciales est que les institutions distinguent mal ce qui relève du domaine privé et ce qui constitue un intérêt public. Le rejet qu’a essuyé BIRN en 2012 en est un bon exemple. Le le média régional anglophone avait demandé au bureau du Premier ministre l’accès à des données relatives aux dépenses publiques dans le cadre du programme Justice and the People, soutenu par Public International Law & Policy Group (PILPG).

BIRN a alors décidé de défier le système et de confier l’affaire à la justice. Au terme de quatre longues années de procédure, le média a fini par gagner son procès. Le juge a en effet établi qu’il relevait de l’intérêt public de savoir comment l’argent des contribuables était dépensé et que le refus opposé à BIRN était infondé. Et pourtant, malgré cette décision, les journalistes de BIRN n’ont pas pu obtenir les données demandées.

Cela a tout de même eu le mérite de créer un précédent et de servir d’exemple. Souvent, les journalistes kosovars préfèrent ne pas aller en justice pour éviter de se faire des ennemis. Or, c’est la seule manière de faire bouger les lignes et d’amener les institutions à se plier aux règles établies par la loi. C’est la pratique qui manque à sa réelle mise en œuvre.

Comment progresser ?

Il reste d’autres sérieux problèmes concernant l’accès à l’information au Kosovo. Ils se manifestent souvent par une interprétation erronée de la loi et l’application de mesures administratives ad hoc par certaines institutions.

Par exemple, nombre d’entre elles demandent de remplir un formulaire et de payer un euro à chaque demande liée à la liberté d’information, ce qui est contraire à la loi. En revanche, il semble normal que les photocopies des documents demandés soient payants. Une circulaire établie par le ministre des Finances réglemente d’ailleurs cette tarification. Un autre problème concerne les fonctionnaires responsables du recensement et de l’analyse initiale des demandes d’accès aux documents.

Il faut noter que la Loi relative à l’Accès aux documents publics est actuellement en révision en même temps que la Loi sur la Protection des données personnelles et la Loi sur la Classification des informations. La cohérence entre ces textes est essentielle pour garantir la transparence de la Loi relative à l’accès aux documents publics.

Les journalistes doivent aussi comprendre la profondeur et l’ampleur de la législation pour l’utiliser à leur avantage, en insistant sur les refus opposés aux demandes. Souvent, les institutions exploitent la tendance des journalistes à facilement renoncer. La seule façon d’améliorer la situation est de saisir toutes les possibilités qu’offre le système. Une fois qu’il y a un précédent, cela favorise la transparence. Et l’exemple de BIRN doit être suivi.

Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.