Turquie : les journalistes emprisonnés pour espionnage et terrorisme écrivent à François Hollande

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Le directeur du grand quotidien de gauche turc Cumhuriyet, Can Dündar, et le chef de la rédaction, Erdem Gûl, ont été arrêtés jeudi 26 novembre au soir. Les deux journalistes ont été inculpés d’espionnage et de collaboration avec une entreprise terroriste pour avoir publiés des images de livraisons d’armes par les services secrets turcs à des combattants syriens anti-Bachar al-Assad probablement djihadistes. Nous publions leur lettre ouverte et l’appel de Reporters sans frontières à leur libération.

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© Reporters sans frontières

Can Dündar et Erdem Gûl risquent jusqu’à vingt ans de prison. A la veille du sommet Union Européenne -Turquie qui avait lieu ce dimanche à Bruxelles, les deux journalistes ont écrit une lettre ouverte à François Hollande.

« Monsieur le président de la République française,

En tant que journalistes qui croient en l’objectif d’une adhésion complète à l’Union européenne et qui croient que la Turquie fait partie de la famille européenne, nous vous écrivons de la prison de Silivri [à Istanbul, ndlr]. La liberté de pensée et la liberté d’expression sont des valeurs indispensables de la civilisation à laquelle nous appartenons. Nous sommes jugés et détenus pour avoir usé de ces libertés et pour avoir défendu le droit du public à l’information.

Le Premier ministre turc, que vous rencontrerez ce week-end, et le régime qu’il représente sont connus pour leur politique et leurs pratiques qui ignorent complètement la liberté de la presse et les droits de l’Homme. Vos gouvernements sont en train de négocier avec le gouvernement d’Ankara afin de trouver une solution à la crise des réfugiés, qui brise nos cœurs à tous. Nous espérons sincèrement que vous trouverez une solution durable à ce problème au cours de ce sommet.

Nous espérons que votre volonté de trouver une solution n’entamera pas votre attachement aux droits de l’Homme, de la presse et d’expression, qui sont les valeurs fondamentales du monde occidental. Nous rappelons que nos valeurs communes ne peuvent être préservées que par la solidarité et par une position commune. Nous insistons sur le fait que cette solidarité est très importante et urgente.

Au nom des journalistes détenus,

Can Dündar et Erdem Gül »

Reporters sans frontières (RSF) lance un appel solennel à l’Union européenne et à tous les États membres pour qu’ils somment les autorités turques de libérer immédiatement Can Dündar, directeur de la rédaction du quotidien Cumhuriyet, et Erdem Gül, son représentant à Ankara. Lors du sommet UE/Turquie du 29 novembre, le président du Conseil Donald Tusk et les chefs d’État et de gouvernement de l’Union doivent faire de la libération des journalistes et plus largement du respect de la liberté de presse en Turquie une condition préalable à l’approfondissement des relations bilatérales.

“Cumhuriyet est l’un des fers de lance du journalisme indépendant en Turquie et Can Dündar est un héros de l’information dont la Turquie devrait s’honorer, affirme Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Le 17 novembre dernier à Strasbourg, RSF décernait à Cumhuriyet le prix pour la liberté de la presse 2015 dans la catégorie ’médias’. Pris à partie par Erdogan lui-même, Can Dündar a prononcé un discours puissant, profond et courageux. Il fait partie de ces chiens de garde de la démocratie que les autorités turques musèlent avec une violence de plus en plus grande.”

Lors de la cérémonie du prix RSF, décerné en partenariat avec TV5 Monde, Can Dündar déclarait : “Mon bureau a deux fenêtres : l’une donne sur un cimetière, l’autre sur le palais de justice. Ce sont les lieux les plus visités par les journalistes turcs.” Le rédacteur en chef de Cumhuriyet et son représentant à Ankara ont été placés en détention provisoire par un tribunal d’Istanbul, dans la soirée du 26 novembre, et transférés à la prison de haute sécurité de Silivri. Les accusations retenues contre eux sont passibles de la prison à vie : espionnage, divulgation de secrets d’Etat et propagande pour une organisation terroriste.

Can Dündar et Erdem Gül sont poursuivis pour avoir publié, fin mai, un article sur de possibles livraisons d’armes par les services secrets turcs (MIT) en Syrie. La vidéo et les photos produites par Cumhuriyet avaient fait rebondir cette affaire, déjà brutalement étouffée par les autorités en février 2014.