Privatisations en Serbie : la dernière valse des médias publics

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Cet été, le gouvernement de Serbie a lancé la mise aux enchères de 72 médias publics, la plupart locaux. Seuls une poignée ont trouvé des repreneurs. Pour les autres, cette privatisation sous la pression de l’UE, marque la fin d’une époque. L’information publique appartient au passé, mais le contrôle politique encore de beaux jours devant lui.

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Par Dragan Janjić

© caterina robba / FlickR

531 000 euros, c’est le prix auquel a été acheté Radio Šid. La radio-télévision belgradoise Studio B est quant à elle partie pour 1 000 euros de moins. Et pourtant ces deux médias ont une audience bien différente : Šid est une commune de 40 000 habitants située à la frontière avec la Croatie, alors que la RTV Studio B couvre une région peuplée de plusieurs millions de personnes autour de Belgrade et elle émet aussi dans d’autres villes de Serbie. À titre de comparaison, la radio-télévision de Bačka Palanka, qui émet aussi depuis une ville frontière avec la Croatie, a été vendue aux enchères pour 249 000 euros avec un prix de départ à 8 818 euros.

Les liens incestueux de la politique et des médias

Pour fixer ces prix, l’Agence pour la privatisation de Serbie a tenu compte des dimensions et des zones potentiellement couvertes par ces médias. Ainsi pour Radio Šid, le prix initial était de 6.928 euros, alors que pour Studio B, il était proche du prix de vente.

Qu’est-ce qui explique cette différence de prix ? C’est la question-clé que soulève cette première phase de privatisation. En vérité, il n’y a pas de réponse rationnelle et économiquement convaincante tant il est difficile de croire qu’un homme d’affaires soit en peine pour différencier un marché potentiel de plusieurs millions d’auditeurs dans la partie la plus riche de la Serbie de celui de deux petites communes moyennement développées. Radio Šid dispose d’un réseau de 3 000 abonnés au câble, ce qui rend son rachat intéressant, car il garantit des apports mensuels de liquidités. Voilà qui n’explique pas l’envolée des enchères pour la la RTV Bačka Palanka.

Selon des associations de journalistes et des experts des médias, les raisons tiennent plutôt à des questions politiques, et traduisent les liens étroits qui unissent les investisseurs et le SNS du Premier ministre Aleksandar Vučić. Il était déjà question de ces liens politico-économiques lors de la privatisation des médias après la chute de Slobodan Milošević. À l’époque, on avait vite étouffé les débats.

Les associations des médias demandent aujourd’hui aux organes compétents (services d’inspection, ministère et agence pour la privatisation) de tenir à l’œil tout le processus. Mais, si aucune violation formelle n’est constatée dans les acquisitions, elles seront considérées légales et il sera difficile de prouver les dessous de table.

Un marché déjà très encombré

72 médias, pour la plupart appartenant aux municipalités, doivent être vendus lors de cette vague de privatisations. L’Agence pour les privatisations a émis une annonce publique pour la vente de 36 médias, dont 13 ont été très vite achetés. Les autres, dont l’agence de presse Tanjug, n’ont pas encore trouvé preneur. Une deuxième vente, avec une réduction de moitié du prix, sera organisée, mais peu devraient être repris. Les salariés de ces médias obtiendront aussi des actions à titre gratuit.

Si ces médias attirent peu d’acquéreurs, c’est surtout à cause de la profonde crise économique qui a affecte le secteur. Dans un marché miné et pauvre où plus d’une centaine de médias privés sont déjà en concurrence, il reste bien peu de place pour les 72 autres en voie de privatisation. D’autant que ces entreprises de presse doivent leur survie aux dotations publiques, ce qui les rend peu concurrentielles, commercialement parlant.

Les médias serbes, comme leurs homologues du monde entier, sont financés par la publicité, qui est sous influence politique depuis des années. Un phénomène qui limite la libre entreprise et qui décourage les investisseurs intéressés par les médias. Autrement dit, ceux qui mettent ou mettront la main au porte-monnaie sont ceux qui bénéficient de bons contacts avec les responsables politiques et suivent leur volonté.

L’une des raisons de l’envolée des prix de certains médias, c’est la confiance de l’acquéreur dans ses soutiens politiques et, de fait, sa capacité à vendre des espaces publicitaires. Voilà qui signifie que l’intérêt « financier » du futur propriétaire prime nettement sur l’intérêt public. L’éventualité de blanchiment d’argent, de corruption ou d’autres opérations illicites n’est d’ailleurs pas à exclure. Mais tant que les organes compétents ne feront pas la lumière là-dessus, tout le processus est considéré comme transparent, et propre.

De nombreuses fermetures définitives attendues

Cette fois, le processus de privatisation aurait été préparé avec beaucoup plus de soin. De plus, les entreprises publiques, villes, communes, provinces, institutions de l’État, sont autorisées à dépenser une partie de leur budget pour l’information, mais la loi impose des règles précises pour la dépense de l’argent public : transparence des marchés et des appels d’offre ouverts à tous.

De prime abord, on dirait que rien n’a changé et que le gouvernement, malgré le passage au financement sur projets, trouvera le moyen d’influencer la répartition des budgets destiné aux médias. Des commissions indépendantes, auxquelles participent aussi des représentants des associations de journalistes, gèrent aussi, en théorie, l’attribution des fonds. Les communes se heurtent aujourd’hui à l’urgence de s’adapter et les médias qui leur appartiennent ne sont pas en état de composer avec les nouvelles conditions en gardant les mêmes équipes et la même organisation.

Les médias appartenant à l’État qui ne seront pas vendus et dont les salariés n’assumeront pas la responsabilité de la gestion grâce à l’acquisition des actions gratuitement attribuées, risquent la fermeture définitive. Certains espèrent un miracle et l’intervention de l’État, comme cela s’est déjà produit, en prorogeant les délais pour éviter leur disparition. Une solution, impossible juridiquement, à moins de changer la loi en vigueur. Or, ce serait oublier la Commission européenne, sous le patronat de laquelle ont été préparées la réforme des médias et la nouvelle loi sur les médias. Le mot de la fin, néanmoins, reviendra au gouvernement serbe.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.