Blog • Pourquoi l’UE ne séduit-elle plus dans les Balkans occidentaux ?

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La victoire électorale de Syriza en Grèce, un parti pour le moins critique à l’encontre de l’Union européenne (UE), doit porter à s’interroger sur un phénomène qui n’a rien de spécifiquement grec et qui affecte tout autant les pays des Balkans occidentaux. Ce phénomène est l’érosion progressive de l’attrait de l’UE pour les citoyens de la région.

L’exemple le plus frappant est celui de la Serbie. Il y a dix ans, 61% des Serbes considéraient l’adhésion à l’UE comme une bonne chose. En 2010, ils n’étaient plus que 44% et aujourd’hui, à peine 30%. Dans le même temps, la part des Serbes considérant l’adhésion comme une « mauvaise chose » n’a eu de cesse de grandir –elle atteint à présent 40%. Ce phénomène touche tous les pays de la région, quoique de façon moins prononcée. Seul le Kosovo semble épargné.

Les causes de ce lent désamour sont multiples. Elles sont tout d’abord structurelles, inhérentes au projet d’intégration promu par l’Union. Car la politique d’élargissement de l’UE est avant tout l’affaire des élites, pas celle des citoyens. Les premières sont directement impliquées dans les processus de négociation. Ce qu’elles attendent des seconds, par ailleurs mal informés, se limite le plus souvent à un « consensus permissif » -autrement dit, léthargie bienveillante. Cet objectif, peu ambitieux, contribue au désintérêt chronique que les élites, à Bruxelles comme dans les capitales balkaniques, manifestent à l’égard des opinions publiques. Aussi curieux que cela puisse paraître, ni les rapports d’évaluation de la Commission européenne, ni les programmes nationaux des futurs états membres font mention de la popularité de l’UE dans les pays concernés.

Et pour cause, l’expérience montre que plus les pays approchent de l’UE, plus la popularité de l’UE baisse. Par exemple, en 2000, près de 80% des Croates étaient favorables à l’UE ; en 2003, ils étaient 50% ; et en 2010, 25%. Que les Croates aient finalement voté lors du référendum de 2013 à 65% en faveur de l’adhésion de leur pays à l’UE s’explique simplement par le fait que 40% d’entre eux considéraient la démarche comme ni bonne, ni mauvaise. Le résultat du référendum reflétait donc ni plus ni moins l’état de ce « consensus permissif » -un consensus qui au final, n’avait eu de cesse de s’effriter. Il faut dire que les réformes exigées par l’UE en matière de modernisation des administrations, d’ouverture des marchés et de rigueur économique ainsi que les atteintes à une souveraineté nationale à peine recouvrée sont toujours source d’inquiétude.

Le désamour que manifeste de plus en plus les citoyens à l’encontre de l’UE est ensuite lié à des facteurs conjoncturels. La crise économique et financière, tout d’abord, a révélé que l’Union pouvait être fragile, et aussi qu’elle pouvait être dure. L’impopularité de sont action en Grèce s’est diffusée dans toute la région. Ensuite, il y a la fatigue de l’élargissement, qui s’est amplifiée en 2007 avec l’entrée dans l’UE de la Bulgarie et de la Roumanie, et qui n’a pas pris fin. Les nouvelles initiatives européennes, les rencontres au sommet et les velléités de relance sont trompeuses : la nouvelle Commission européenne ne compte plus de Direction Générale pour l’Élargissement et les réticences des états membres à poursuivre la logique d’élargissement n’ont jamais été aussi grandes. Seul un tiers des Européens (UE-28) -et à peine un Allemand ou un Français sur quatre- restent en faveur de l’élargissement (Eurobaromètre 82 de 2014).

Or cette fatigue de l’élargissement nourrit dans les pays des Balkans occidentaux impatience et frustration. En 2009, une étude d’opinion réalisée par Gallup Balkan Monitor interrogeait les populations de la région sur l’année à laquelle elles pensait que leur pays allait intégrer l’UE. L’estimation des Serbes, des Monténégrins et des Macédonien fut 2015 ; celle des Albanais et des Kosovars, 2018 ; et celle des Bosniens, 2020. Inutile de préciser qu’aucune de ces estimations ne se vérifiera, que les plus chanceux entrerons plus vraisemblablement dans l’UE dans les années 2020. Les moins chanceux, quant à eux, devront plus probablement attendre les années 2030. Comment, dès lors, ne pas s’étonner du désamour des populations à l’égard de l’UE ?

Enfin, il y a des facteurs particuliers, liés à la stratégie européenne dans les Balkans occidentaux, qui sapent la popularité de l’UE. Dans ses démarches d’intégration, l’UE tout d’abord, s’appuie sur des élites locales ne disposant que d’une légitimité partielle. Celles qui sont élues par le peuple, durant leur mandat, cherchent davantage à consolider leur pouvoir qu’à renforcer les garde-fous institutionnels et les contre-pouvoirs démocratiques (notamment la liberté de la presse) . Les autres participent souvent à un système clientéliste et ploutocratique. Le Monténégro, le Kosovo et la Macédoine, pour ne citer qu’eux, disposent certes de gouvernements démocratiquement élus et d’administrations disposées à les appuyer, mais leurs élites n’ont pas comme seule vocation le développement de la démocratie et le renforcement tout azimut de l’état de droit. Les exemples ne manquent pas en la matière. Or c’est précisément sur celles-ci que l’UE s’appuie pour mener à bien ces réformes ! L’UE contribue ce-faisant à légitimer des élites à l’éthique douteuse, rompues à ses éléments de langage, et à leur donner des gages de respectabilité. Ce qui conduit une partie des citoyens à penser que l’intégration européenne est moins dans leur intérêt que dans celui des politiciens.

La stratégie de l’Union, ensuite, depuis le Sommet de Zagreb en 2000, privilégie une approche différenciée : elle traite avec les futurs états membres de manière purement bilatérale, chacun étant récompensé à la mesure de ses efforts, du moins en théorie. Or cette approche, guère susceptible de dissoudre les égoïsmes nationaux, relègue le travail de réconciliation à un sous-produit de l’intégration européenne, alors qu’il devrait l’habiter dans toutes ses composantes. La résilience des nationalismes, dans ce contexte, n’est guère surprenante –et elle va de pair avec l’impopularité croissante de l’UE.

Enfin, il y a l’asymétrie des relations entre l’UE et les états de la région, que l’UE ne s’efforce guère d’apaiser dans le cadre de sa politique d’élargissement. En matière d’alignement avec les déclarations ou les sanctions de l’UE (pour le cas de la Serbie) ; de la solidarité entre états-membres en dépit du bon sens (pour ce qui est du blocage par la Grèce de l’intégration de la Macédoine) ; de questions fondamentales faisant l’objet de clivages importants (réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine), l’UE accule les élites au changement plus qu’elle ne nourrit le débat public, et court donc le risque d’être perçue (ou présentée) comme un acteur intrusif, recourant volontiers au chantage, quand sa vocation, au contraire, serait de susciter l’attrait.