Serbie : la mise au pas des médias locaux de Voïvodine

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Depuis quelques mois, après le vote de nouvelles lois sur les médias, c’est une véritable purge qui touche les radios et les télévisions locales de Voïvodine. Privatisées les unes après les autres, tous des médias passent sous le contrôle d’affairistes proches du parti au pouvoir, qui s’empressent d’aseptiser les programmes.

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Par Ana Vuković

Pančevo
© Ana Vuković

La ville de Pančevo est principalement connue pour son dense tissu industriel. Après la Première Guerre mondiale, des dizaines d’usines ouvrirent dans l’agglomération et plus encore après 1945, notamment l’usine d’engrais chimiques Azotara (1962), la raffinerie Rafinerija nafte (1968) et l’usine pétrochimique Petrohemija (1977). La grande majorité de ces industries, comme la célèbre filature Svilara, est aujourd’hui fermée, et les bâtiments déserts sont le symbole d’une époque disparue. Quant aux usines encore en activité, elles polluent l’air des habitants de Pančevo et des environs. Et leur privatisation ne fait qu’engendrer une foule de nouveaux problèmes.

Les privatisations touchent aussi d’autres sphères, comme la culture et les médias. Le centre culturel de Pančevo a perdu sa galerie en centre-ville, « restituée » à l’Église, laquelle s’est empressée de louer ce local à un tiers, si bien que cet espace abrite aujourd’hui un café. Le même phénomène a eu raison de la galerie Elecktrika, un haut lieu de la culture alternative. Le Pančevac, le plus vieux journal des Balkans, ainsi que la radio-télévisions de Pančevo ont eux aussi été privatisés.

RTV Pančevo, un cas d’école

Comme beaucoup d’autres médias, RTV Pančevo avait, pour la première fois, été menacée de privatisation il y a une dizaine d’années. Mais celle-ci avait été plusieurs fois reportée car la télévision proposait des émissions dans les langues des minorités de la région. RTV Pančevo avait donc été exclue du processus de privatisation, car, selon les représentants des minorités nationales, sa disparition menaçait leurs droits. Mais avec l’adoption de nouvelles lois sur les médias, RTV Pančevo a finalement été vendue à Radojica Mirosavljević, un entrepreneur de Kruševac.

Radojica Mirosavljević a été adjoint au maire de Kruševac jusqu’en 2012, après quoi il a arrêté la politique pour se consacrer aux affaires. L’homme possède, outre RTV Pančevo, sept autres médias locaux, achetés en 2015. Selon Slavica Jovanović, une ancienne de la chaîne partie à la retraite à l’occasion de la privatisation, personne n’a été prévenu de ce qui allait se produire à l’arrivée du nouveau propriétaire.

« Depuis un an, la direction savait ce qui allait arriver, mais personne ne nous a donné d’informations », renchérit Violeta Jovanov Peštanac, autrefois rédactrice de la matinale, qui, tout comme ses collègues, a appris un vendredi qu’il serait inutile de venir le lundi suivant. « Je travaillais dans une émission depuis huit ans et demi, j’aurais quand même dû disposer de certaines informations. Quand on posait des questions, ils ne nous répondaient pas et se contentaient de changer de sujet. »

L’ombre du SNS

Avec l’adoption de la nouvelle loi sur l’information, la situation a immédiatement commencé à se dégrader dans la rédaction. Au tout début du processus de privatisation, alors qu’aucun repreneur ne s’était encore manifesté, les employés ont dû décider d’empocher une indemnité de licenciement ou de rester à leur poste, sans avoir la moindre idée de la suite des évènements. Sur les 63 personnes travaillant officiellement à RTV Pančevo, 58 se sont décidées pour l’indemnité.

« L’après-midi du vendredi 7 août, la directrice de RTV m’a informée que nous arrêtions le travail le lundi suivant, le jour prévu pour la signature des contrats d’indemnités, et que la vente aux enchères aurait lieu le 12. Avec quelques amis, nous avons signé et nous sommes partis. Quelques autres collègues ont continué de venir pour maintenir les programmes », lâche Violeta Jovanov Peštanac.

Radojica Mijosavlević a finalement paraphé le contrat de vente le 20 novembre 2015, devenant ainsi le propriétaire de son huitième média local. L’homme n’a jamais mis les pieds à la rédaction, ni pendant ni après le processus de privatisation, mais son arrivée a provoqué de nombreux changements. Miroslav Milakov est devenu le nouveau rédacteur en chef, et il est également président de la Commission pour l’information de la mairie de Pančevo, tenue par le Parti progressiste (SNS). Miroslav Milakov a fait une offre limpide aux anciens de la rédaction : s’inscrire au parti pour revenir travailler à la télévision.

« Le 23e anniversaire de RTV Pančevo a été célébré le 16 décembre au centre culturel de Pančevo. Les photos de l’événement montrent des ballons bleus, rouges et blancs à l’entrée du bâtiment, les couleurs de la Serbie et du SNS. La maire de Belgrade a tenu le premier discours, ce qui n’a aucun sens. Venaient ensuite le ministre de l’Énergie et des Mines, puis le maire de Pančevo et enfin le rédacteur en chef et la directrice de la RTV. Un conseiller régional et un député du conseil municipal ont également parlé, et devinez quoi ? Ils étaient tous les deux SNS. Cela faisait vraiment peine à voir », raconte Čedomir Markov, employé à la municipalité de Pančevo à l’époque de la privatisation. Le nouveau propriétaire de RTV, quant à lui, n’a pas même daigné se montrer.

La fin de la pluralité ?

Les privatisations sont censées favoriser « l’objectivité de l’information », que garantirait le retrait de l’État. Il y a pourtant de fortes chances que les médias locaux privatisés ces derniers mois ne fassent que servir le parti au pouvoir, condamnés à une marchandisation qui rend leur objectivité impossible. Les programmes d’information ont ainsi été réduits au minimum. Tous les journaux radio ont ainsi été supprimés et il reste à peine une heure d’infos quotidienne de contenus produits par d’autres.

« En décembre, nous avons couvert un meeting d’Aleksandar Vučić par l’intermédiaire de la chaîne Pink 3 et, juste après, nous avons repris l’interview donnée par Vučić à la chaîne Palma plus. Un cas d’école qui illustre la baisse des effectifs : on nous oblige à reprendre les contenus de d’autres médias ’proches’, ce qui limite bien entendu la diversité des informations, un unique propriétaire n’ayant aucun intérêt à diffuser des contenus différents. Il est plus rentable d’émettre le même programme sur huit radio-télévisions locales : plus de profit, moins d’employés, et au diable le pluralisme médiatique », s’indigne Slavica Jovanović.

Avec le développement d’Internet, beaucoup oublient le rôle des médias locaux. Leur importance diminue, on les prive de leurs fonctions principales : informer la population de la vie locale, offrir des contenus éducatifs et divertir. Mais comme toutes les autres institutions culturelles, ces derniers n’ont plus la capacité de produire une offre adaptée à leur public, ils ne produisent plus que des généralités. « Dans les médias locaux, la qualité de ce que vous faites est très facilement évaluable par les retours rapides que vous obtenez. Ces retours vous aident à déterminer si le contenu produit a été utile aux auditeurs », confirme Violeta Jovanov Peštanac. Mais qu’importe que des émissions dans les langues des minorités de la région soient utiles à certains, si elles ne sont pas rentables ? Si la concentration des médias se poursuit en Serbie, seules quelques personnes pourront bientôt dicter ce qui est important à la population du pays. Ce qui est d’ailleurs l’objectif final : le capital et les intérêts privés ne passent-ils pas avant l’intérêt public ?


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.