Le Courrier des Balkans

Nevipe Kosov@, un site d’information pour faire entendre la voix des Rroms du Kosovo

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À l’initiative du Courrier des Balkans et de l’association Rromani Baxt de Prizren, le projet Nevipe Kosov@, premier site d’information rrom du Kosovo, a vu le jour. Alors que les Rroms forment la minorité la plus discriminée du Kosovo, leur voix a toujours du mal à se faire entendre.

Le site Nevipe Kosov@, qui sera opérationnel dans quelques semaines, proposera des informations en cinq langues, rromani, serbe, albanais, français et anglais. Ce projet a bénéficié du soutien du bureau de Pristina de la Direction pour le développement et la coopération (DDC) de la Confédération helvétique.

Retrouvez ici le site Nevipe Kosov@

Le séminaire de lancement du projet, organisé lundi 29 janvier à Prizren, a réuni une quinzaine de journalistes et de correspondants, venant de Mitrovica, Djakovica / Gjakovë, Urosevac/Ferizaj, Priluzje, Gracanica, Preoce, et bien sûr Prizren.

Le Courrier des Balkans était représenté par Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, ainsi que par Saimir Mile (association La Voix des Rroms de Paris). Ce projet disposera d’une double rédaction, à Prizren et à Arcueil, en banlieue parisienne, siège du CdB.

Le journaliste Kujtim Pacaku de Prizren a été élu rédacteur en chef du nouveau site.

Le séminaire de Prizren a permis de faire le point sur la situation des Rroms dans les différentes régions du Kosovo, et de leur accès à l’information. Sali Jashari, d’Urosevac / Ferizaj a expliqué que la communauté rrom de cette ville, forte de 3700 personnes avant la guerre, se réduit désormais à 264 individus. Cependant, ceux-ci sont relativement bien intégrés dans la société albanaise, et ils exercent pour la plupart des métiers traditionnels, comme celui de forgeron. Il y a encore deux ans, une émission en rrom était diffusée sur une télévision privée, mais celle-ci a été supprimée. Les projets d’émission commune aux Rroms, Ashkalis et Égyptiens n’ont pas aboutis. Une fréquence a été demandée pour créer une radio rrom, mais sans succès. Il souligne pourtant qu’il existait, avant la guerre, une forte tradition intellectuelle et journalistique chez les Rroms de cette ville.

À Djakovica / Gjakovë, la situation n’est pas meilleure, selon Arif Crmjani, le président de l’association Amaro Ternipe. La principale mahala de la ville ne compte plus que 700 habitants, contre 3500 avant la guerre. Il n’existe aucun programme en langue rrom à la radio ou à la télévision, et la communauté n’est pas en mesure de prendre beaucoup d’initiative. Ancien footballeur de haut niveau, Arif Crmjani a cependant créé le seul club de foot rrom du Kosovo.

La situation des Rroms dans les enclaves du Kosovo central (Gracanica, Laplje Selo, Caglavica, etc) est encore pire, a souligné Hajrudin Skenderi. Les Rroms n’ont pas de liberté de circulation, 90% d’entre eux ne parlent pas albanais, aucun ne travaille dans les institutions publiques (police, administration, enseignement, etc). La plupart des enfants interrompent leur scolarité avant terme. Il existe une émission d’une heure par semaine en rromani sur une radio privée, mais elle ne propose que 5 minutes d’informations pour 55 minutes de musique. Il estime la population rrom à 4000 personnes dans cinq villages, alors qu’avant la guerre, la seule agglomération de Gracanica comptait 3500 Rroms : ils ne sont plus que 500. La situation est d’autant plus dramatique que beaucoup de ces 4000 Rroms sont des déplacés chassés des zones albanaises. Hajrudin Skenderi est lui-même originaire d’Obilic / Kastriot.

La situation n’est pas meilleure dans l’enclave serbe de Priluzje (commune de Vucitrn /Vushtrri), où les Rroms n’ont aucun représentant dans les institutions, ainsi que l’a souligné Ismet Berisha. Une émission rrom hebdomadaire d’une vingtaine de minutes est cependant programmée sur la télévision Most. Les problèmes liés au camp de Plemetina ont également été évoqués.

Les problèmes des Rroms à Mitrovica et Leposavic a été rappelée par Sebiha Bajrami et une collègue serbe, Zlata Radojkovic. Alors que la situation n’évolue guère pour les résidents du camp de Leposavic, la première phase du programme de la reconstruction de la mahala de Mitrovica doit s’achever en février. Cette opération a été fortement soutenue par la MINUK, la municipalité de Mitrovica et divers bailleurs de fonds internationaux, mais ne satisfait pas les Rroms. En effet, seule une poignée de familles pourront revenir dans les maisons construites côté sud, alors que des milliers d’anciens habitants de la mahala vivent aujourd’hui à l’étranger. La vie économique et sociale de la mahala a peu de chances de revivre, et il est fort probable que les maisons reconstruites seront vite revendues à des Albanais. Le projet de reconstruction a débuté en 2005, quand a éclaté le scandale des conditions d’hygiène du camp situé en secteur nord : en effet, depuis 1999, les Rroms vivent sur des terrains lourdement pollués, notamment au plomb, ce qui a déjà provoqué de graves maladies, notamment chez les enfants.

La discussion générale a notamment porté sur le cloisonnement de l’information. Faute de média unificateur, les Rroms ne savent souvent rien du sort de leurs compatriotes vivant à une vingtaine de kilomètres. Les communautés rroms du Kosovo sont totalement isolées les unes des autres, ce qui explique, entre autres, la rareté des informations disponibles, même pour les programmes télé ou radio existant en langue rrom.

Le site Nevipe Kosov@ essaiera justement de combler cette carence, en suscitant la production d’informations par un réseau de correspondants rroms de terrain. Ces informations seront destinées à tous les Rroms du Kosovo, mais aussi à ceux qui sont maintenant établis à l’étranger, ainsi qu’à toutes les personnes - journalistes, fonctionnaires internationaux ou travailleurs humanitaires - qui travaillent en lien avec les Rroms du Kosovo.

À l’issue de la réunion, Jean-Arnault Dérens, Laurent Geslin et Saimir Mile ont été les invités de Kujtim Pacaku pour une émission spéciale du programme rrom de la télévision turque de Prizren, Yeni Dönem.