Pour en finir avec le lavage de cerveau

Macédoine : « le journaliste qui dit la vérité, il doit être emprisonné »

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Un bon millier de personnes se sont rassemblées jeudi soir à Skopje pour la troisième fois consécutive, réclamant la démission du gouvernement. Peu avant, le chef de l’opposition Zoran Zaev a fait éclater sa 30e « bombe », révélant que les autorités ont caché des informations sur la mort accidentelle du journaliste Nikola Mladenov en 2013. Tomislav Kežarovski avait à l’époque enquêté sur les circonstances de ce décès, ce qui lui a valu d’être condamné à une lourde peine de prison. Il revient sur son procès et ses conditions de détention, mais aussi sur la justice et la liberté de la presse en Macédoine. Le constat est accablant. Entretien.

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Propos recueillis par Jacqueline Bisson

Tomislav Kežarovski est journaliste d’investigation. Il a remporté plusieurs prix nationaux et internationaux prestigieux pour ses enquêtes. Il a commencé sa carrière à Utrinski Vesnik, puis il a travaillé pour la magazine Business, le quotidien Večer et Nova Makedonija. Il fut également le fondateur et rédacteur en chef de la revue Témoin et de l’hebdomadaire Reporter 92. En 2013, il a été condamné à quatre ans et demi de prison pour avoir dévoilé l’identité d’un témoin protégé dans une affaire de crime d’État datant de 2005.


Cet article est publié dans le cadre du projet Press and Media Freedom, dont le Courrier des Balkans est partenaire.


Le Courrier des Balkans (CdB) : Pour quelle raison vous a-t-on officiellement emprisonné ?

Tomislav Kežarovski (T.K.) : En 2008, j’ai révélé dans Reporter 92 comment la police avait monté de toutes pièces un faux témoignage dans une affaire d’assassinat dans le village d’Oreshe. Cinq ans plus tard, alors que j’enquêtais sur la mort du journaliste Nikola Mladenov dans un accident de la route suspect, ces articles m’ont conduit devant la police et le parquet. J’ai été condamné pour avoir soi-disant divulgué l’identité d’un témoin protégé. Mais au vu des irrégularités patentes de mon procès, de plus en plus de gens sont convaincus que ce n’était qu’un prétexte. Mon enquête sur la mort de Nikola Mladenov pourra sans doute apporter un éclairage précieux si un nouveau procès a lieu. Mais pour cela, il faut que la Macédoine devienne un État de droit. Je pense que cela vaut la peine d’attendre.

CdB : Comment s’est déroulé votre procès ?

T.K. : J’ai été victime d’un harcèlement judiciaire. On m’a mis en détention et refusé de me laisser me défendre sous prétexte que je pouvais influencer l’opinion publique. On m’a jugé sans preuves. Le tribunal n’a pas même pas convoqué le témoin-clé de cette affaire, alors qu’il avait témoigné entièrement en ma faveur lors d’une précédente procédure.

CdB : Décrivez-nous vos conditions de détention.

T.K. : Les cercles de l’Enfer... Nous sommes quatre ou cinq dans des cellules prévues pour deux. Les fenêtres sont cassées ou inexistantes. Les lits sont hors d’usage et les toilettes infectes. L’hiver, le chauffage ne marche que le matin, quand il fonctionne. L’été, il n’y a pas d’eau. En pleine canicule, on vit sans eau cinq jours par semaine. La nourriture est immonde. Les installations sont inadéquates, l’équipement est vétuste, les médicaments et le personnel médical font défaut. Le droit à une promenade quotidienne de deux heures n’est pas respecté. Les locaux ne sont pas aérés. La literie n’est pas changée. Dans ces conditions, la lumière du jour est un don de Dieu. La section où je me trouvais est pire que dans les prisons d’Afrique du Sud pendant l’apartheid. Toutes sortes d’insectes, araignées, blattes et cafards, vous passent sur le corps. Dans chaque cellule, le règlement interne de l’établissement est affiché, mais seul le nom du directeur de correct. Le reste n’est que mensonge.

CdB : Quel est l’état de la liberté d’expression et des médias en Macédoine ?

T.K. : La Macédoine a plongé au fond de tous les classements européens sur le plan économique, social et démocratique. Tout ce qui pouvait être détruit l’a été. Le pays a été transformé en une énorme entreprise de lavage de cerveaux. Le mensonge a triomphé et l’opinion publique s’est cantonnée dans le silence. Notre Premier ministre, Nikola Gruevski, est un tyranneau pour qui la liberté d’expression ne vaut que pour lui. Dire ou écrire la vérité peut vous coûter votre liberté. En ce qui me concerne, je devais être réduit au silence. Ce n’est pas seulement moi qui ai été condamné, mais tous les journalistes. Ma condamnation leur a servi d’avertissement.

CdB : Aujourd’hui, peut-on faire confiance à la justice macédonienne ?

T.K. : La magistrature n’est ni efficace et ni professionnelle. Les procédures s’étendent sur des années et les décisions sont prises hors du cadre légal et en dépit du bon sens. Les membres du conseil de la magistrature sont achetés et vendus et les juges portent une robe au motif du parti auquel ils vouent une obéissance aveugle. Bref, si par malheur vous vous mettez en travers du chemin d’un politicien au pouvoir, vous n’avez aucune chance que la justice vous soit rendue.

CdB : Malgré tout, vous continuez à exercer votre métier de journaliste...

T.K. : Je dois être fort. Une forme de fierté et de joie s’est installée en moi. La vérité est mon guide. Un journaliste doit toujours être du côté des plus faibles, de ceux qui sont privés de leurs droits et de leur voix.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.