Une couronne funéraire sur le pas de la porte

Macédoine : le journaliste Borjan Jovanovski menacé de mort

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Le monde des médias indépendants de Macédoine est sous le choc après la menace de mort dont a été victime le journaliste Borjan Jovanovski, qui a reçu une couronne funéraire mardi dernier.

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« Je suis visiblement choqué par cette menace », a déclaré Borjan Jovanovski au Courrier des Balkans. Mardi soir, un homme au visage découvert a apporté à son domicile une couronne mortuaire avec les mots « Adieux éternels », alors que le journaliste était lui-même absent. « Je crains pour ma sécurité, mais aussi pour celle de ma famille, en particulier de mes filles âgées de 7 et 9 ans. »


Cet article est publié dans le cadre du projet Press and Media Freedom, dont le Courrier des Balkans est partenaire.


L’individu a précisé que la couronne venait de la part de « Todor Aleksandrov », un personnage historique controversé de la Macédoine, membre du VMRO à l’époque ottomane et considéré par le pouvoir actuel comme un héros national.

Borjan Jovanovski ancien journaliste de la télévision A1, fermée brutalement par les autorités suite à une affaire de fraudes fiscales, est l’actuel rédacteur en chef de Nova TV. Connu pour son opinion très critique envers le pouvoir, il a toujours été une épine dans le pied des dirigeants du pays. Il a porté plainte auprès de la police.

« La police a ouvert une enquête, mais de nombreuses questions restent en suspens », indique le journaliste. « La police ne s’est pas renseignée auprès des voisins pour savoir s’ils ont vu quelque chose, elle n’a pas non plus examiné les caméras privées de surveillance dans le quartier. Il est aussi très inquiétant que cet homme se soit senti assez sûr de lui pour ne pas masquer son visage. Est-il convaincu de faire le bien ? A-t-il des protections en haut lieu ? Je n’en sais rien. La police est en charge de l’affaire et j’espère qu’elle traduira en justice l’auteur de cet acte. J’espère aussi que le gouvernement condamnera fermement les menaces contre les journalistes. J’ignore si quelqu’un a ordonné cela. Mais comme je l’ai dit, cet homme se sentait assez sûr de lui pour ne pas se soucier d’être identifié. »

Cet acte a été unanimement condamné par le Plenum des journalistes, l’Association des journalistes de Macédoine (ZNM), l’Institut des médias macédoniens (MIM), la Fédération internationale des journalistes (FIJ), la Fédération européenne des journalistes (FEJ), ainsi que par des militants du secteur civil et par le chef de l’opposition.

« Reporters sans frontières condamne les menaces proférées contre Borjan Jovanovski et sa famille. Nous appelons à ce que les autorités fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter les auteurs de ces menaces et qu’ils soient rapidement traduits devant la justice », a déclaré Lucie Morillon, directrice des programmes de Reporters sans frontières.

Le Plenum des journalistes macédoniens a accusé le Premier ministre Gruevski de créer une atmosphère d’intolérance. « Nous voyons cela comme un message mafieux de la part de la famille qui dirige la Macédoine, un message destiné aux médias et aux journalistes pour leur annoncer ce qui les attend s’ils s’opposent au gouvernement. »

En réponse à cette menace, la famille du journaliste, les membres du Plenum et des représentants de la société civile se sont rendus mercredi face au bâtiment du gouvernement pour transmettre la couronne. Ils ont déclaré que leur geste ne devait pas être interprété comme une accusation directe contre les autorités, mais comme une dénonciation du laxisme ayant permis l’installation d’un sentiment d’impunité. « Cette menace morbide est une conséquence directe de la tolérance incompréhensible du discours de haine qui se propage de façon permanente depuis des années, et dont je suis la cible constante », a déclaré Borjan Jovanovski.

Pour sa sœur, Svetlana Jovanovska, ce geste est un acte sans précédent et représente la menace la plus brutale qui ait été adressé au journaliste à ce jour. En octobre 2011, Borjan Jovanovski avait été accusé par le Premier ministre Gruevski de travailler avec l’Union européenne à « l’avilissement de l’image de la Macédoine ».

Dunja Mijatovic, représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, s’est déclarée de plus en plus inquiète de la dégradation constante de la liberté des médias dans le pays. Le Conseil de l’Union européenne a également exprimé son « inquiétude concernant la dégradation de la situation au regard de l’État de droit, des droits fondamentaux et de la liberté de la presse ».

La liberté de l’information s’affaiblit depuis cinq ans en Macédoine, où les médias indépendants se font de plus en plus rares. Le pays est 117e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2015 publié par Reporters sans frontières, ce qui en fait le dernier pays de la zone Union européenne et Balkans en matière de liberté de l’information.


Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.