Le Courrier des Balkans

Macédoine : le gouvernement s’acharne contre les médias indépendants

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La pression ne retombe pas autour des rares médias encore libres en Macédoine. C’est au tour du magazine Fokus, dont l’avenir était déjà incertain depuis le décès de son fondateur Nikola Mladenov dans un accident de la route fort suspect, d’en subir les conséquences. Le tort du journal ? Avoir révélé une sombre affaire impliquant le tout puissant chef des services secrets et son douteux business en République tchèque...

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Par G.G.

Sašo Mijalkov

(Avec Fokus et Utrinski Vesnik) - L’étau se resserre autour de Fokus, l’un des derniers médias libres de Macédoine. Le 17 janvier dernier, la rédactrice en chef du magazine Jadranka Kostova et le journaliste Vlado Apostolov ont été condamnés par le tribunal de Skopje à verser respectivement 5.000 et 1.000 euros à Sašo Mijalkov, directeur de l’Agence macédonienne de la sûreté et du contre-espionnage, au titre de dommage et intérêts pour « atteinte à son image et sa réputation ».

Un troisième personnage est également condamné à payer 10.000 euros : l’ancien ambassadeur de Macédoine en République tchèque, Igor Ilievski. La raison de ce procès ? La parution en janvier 2012 d’un article et d’une interview de l’ancien ambassadeur qui accusait Sašo Mijalkov de vouloir attenter à sa vie. Ce dernier a immédiatement porté plainte pour diffamation contre Fokus, Jadranka Kostova, Vlado Apostolov et Igor Ilievski.

Une interview explosive

En janvier 2013, Igor Ilievski a accordé une interview à Fokus, affirmant « avoir été obligé de fuir la République tchèque suite aux pressions exercées par l’actuel chef de la police secrète macédonienne et ses amis », ajoutant qu’il craignait pour sa vie. Un second article a suivi, reprenant certains éléments de l’accusation de l’ex-ambassadeur.

En septembre 2012, l’ambassadeur annonçait l’enlèvement de son fils âgé d’à peine un an par son épouse d’origine espagnole, avec la complicité d’une société de sécurité et d’un avocat réputé à Prague pour défendre les gros bonnets du crime organisé ainsi que des fonctionnaires accusés ou condamnés pour corruption. Igor Ilievski a d’abord réussi à obtenir, dès le mois d’octobre, un jugement en sa faveur, sommant son épouse de rendre l’enfant à son père. Cette décision n’a toutefois jamais pu être appliquée, car personne ne sait où la mère et le fils ont disparu.

Suite à ce jugement, l’ambassadeur Ilievski aurait demandé à Sašo Mijalkov de l’aider à faire appliquer cette décision de justice sur la base de la convention de Vienne et des accords bilatéraux. Mais le chef de la sécurité macédonienne n’a pas bougé. Igor Ilievski a déclaré que son fils aurait dû lui être ramené lors de la visite officielle en novembre 2012 du chef de l’État macédonien et du ministre des Affaires étrangères. En vain. Dans son entretien à Fokus, il affirme au contraire avoir reçu pas moins de quatre menaces de mort et trois menaces d’attaques à la bombe contre l’ambassade.

Pourquoi un tel acharnement contre un diplomate ? La réponse de celui-ci est sans équivoque : « Le caractère géopolitique, ainsi que les intérêts et profits économiques personnels du chef de la sécurité allaient à l’encontre des priorités de la politique étrangère de la République de Macédoine ». En effet, Sašo Mijalkov possèderait plusieurs sociétés douteuses en République tchèque. Igor Ilievski assure qu’il est en possession de près de 700 pages de documents pour le prouver.

À ce jour, l’ancien ambassadeur se cache quelque part en Europe et n’a toujours pas retrouvé la trace de son fils.

Un verdict « sur mesure »

Pour la justice, ceci aurait pu être une occasion de montrer sa capacité d’indépendance. Or, ce ne fut pas le cas.

Dès le départ, vice de procédure : dans le procès verbal de l’acte d’accusation, l’identité du plaignant, Sašo Mijalkov, n’est pas déclinée entièrement comme l’exige l’article de loi 101 (nom, prénom, date de naissance, adresse et numéro d’immatriculation au registre national). En guise de déclinaison d’identité, le procès verbal indique « Sašo Mijalkov de Skopje »... Cependant, la juge a accepté la requête et menacé d’évacuer de la salle les avocats des accusés s’ils insistaient pour faire invalider cette plainte.

Il y a eu également des audiences sans la moindre apparition du plaignant - y compris le jour de son audition à la barre pour donner sa version des faits -, des ajournements de séances, notamment quand le rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Franck La Rue, devait être présent, et enfin un jugement rendu en l’absence des deux parties pour cause de dératisation du bâtiment !

Il faut cependant souligner que la juge n’a pas condamné Fokus en qualité d’entité juridique, mais uniquement les trois personnes physiques accusées de diffamation. À présent, la question se pose de savoir combien de temps encore le journal résistera aux pressions et tiendra financièrement.

Pressions sur la presse