Blog • Les Balkans, nouvelle frontière du foodisme

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Oubliez donc les bouillons thaïs et les obsessions japonisantes, les foodies britanniques ont découvert une nouvelle terre promise, les Balkans. C’est du moins ce qu’écrit l’influente Katy Selter, « food and travel writer », dans les colonnes du Telegraph [1].

Un chef londonien prend la pose devant des bocaux d’ajvar macédonien, avant d’expliquer doctement que la cuisine des Balkans est « une cuisine de saison basée sur des produits frais » - vérité applicable à toutes les cuisines du monde, du moins tant qu’elles restent liées à leur propre tradition. Il est incontestable, toutefois, que la ruralité toujours forte des Balkans et la mauvaise situation économique de la région contraignent les consommateurs à s’en tenir à un « classicisme » alimentaire de fort bon aloi. À Zagreb comme à Belgrade, il est moins cher d’aller faire ses courses au marché que dans un supermarché, et la fréquentation régulière des étals d’un Zelen Pazar de Skopje aura vite fait de vous remettre au clair avec les rythmes saisonniers des fruits et légumes.

Katy Selter souligne une dimension importante de l’alimentation balkanique, son caractère festif et convivial. On cuisine pour de grandes tablées, on partage la nourriture, qu’il s’agisse du défilé des meze à la bulgare ou des arcimboldesques amoncellements de viande grillée d’un mješano meso à la bosnienne ou à la serbe. Il y a quelque temps, deux de mes amies s’étaient mises en tête de cuisiner une tête de veau à la manière de Vranje dans la cuisine d’un HLM de Novi Beograd : ce n’est certes pas un plat pour famille monoparentale.

Que cherchent-ils donc dans les Balkans, ces foodies britanniques ? De la convivialité, de « l’authenticité », du « naturel » - et puis, bien sûr, un peu de transgression. Se goinfrer de viande grillée en ayant l’impression de commettre un acte culturel… En fait, la « cuisine des Balkans » pourrait vite occuper, dans l’imaginaire occidental, une position pas bien différente de celle de la musique des Balkans. La fête, l’excès, les miracles de la transgression : le végétarien mangera de la viande, l’abstinent se bourra la gueule, et l’on dansera tous sur les tables jusqu’au matin.

Où commence-t-elle, où s’arrête-t-elle, cette « cuisine des Balkans » ? On connaît déjà la cuisine grecque, sous-variante de la cuisine turque, mais manger une moussaka avant de casser des assiettes en dansant le sirtaki est un autre acte culturel, qui ne mobilise pas les mêmes zones des cerveaux occidentaux que la consommation exagérée de ćevapčići et de šljivovica. Non sans mérites, Katy Selter essaie de délimiter son sujet, citant Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie et Macédoine. Même en se limitant de la sorte, il va de soi que définir l’archétype d’une « cuisine balkanique » est aussi réducteur que de résumer l’Espagne à la paella, l’Italie aux spaghettis à la tomate ou la France au couscous. Ou bien de croire que Goran Bregović serait à lui seul l’alpha et l’omega, la tradition et l’avenir de la « musique des Balkans ».

On sait depuis longtemps que le si médiatique Jamie Oliver a craqué sur les ćevapi, mais il faut se rappeler ce que René Redzepi, le chef du Noma de Copenhague, dit sur le parfum des herbes des montagnes qui surplombent Tetovo, ou encore la manière dont Olivier Rollinger explique avoir découvert l’usage des épices à Split. À Belgrade, dans son restaurant Reset [2], mon ami Zeka sert des ćevapi en aumônière, flambés au cognac. Ce n’est pas chez lui le plat que je préfère, mais Zeka a l’immense mérite d’essayer d’écrire la partition nouvelle d’une cuisine serbe moderne et contemporaine, en s’inspirant de deux traditions, la française et la balkanique. J’aurai l’occasion de reparler de son restaurant.

Au moment où ce blog voit le jour, la résurrection du Christ a été chantée et carillonnée dans les églises catholiques puis orthodoxes, le premier soleil verdit les montagnes des Balkans, les agneaux sont gras, prenez donc le temps de vous arrêter dans une kafana au bord de la route !