BLOG • République de Moldavie : Maia Sandu prise à la gorge par les prêtres orthodoxes

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C’est sous ce titre que Iurii Botnarenco rend compte ce lundi 5 novembre dans le quotidien Adevărul de l’escalade contre la candidate anti-corruption Maia Sandu à laquelle on assiste en République de Moldavie à une semaine du second tour de l’élection présidentielle.

Maia Sandu

Toutes les ressources médiatiques ont été mobilisées par la Russie pour compromettre la candidate Maia Sandu de la coalition pro-européenne « Action et solidarité » et favoriser son concurrent Igor Dodon, ancien ministre de Voronine, passé du Parti des communistes au Parti des socialistes, qui se présentait fièrement aux côtés de Vladimir Poutine sur l’affiche électorale des élections parlementaires en novembre 2014.

Lors de la conférence de presse du 4 novembre, l’évêque de Bălţi et Făleşti Marchel entouré de plusieurs prêtres s’en est pris durement à Maia Sandu : ceux qui voteront Maia Sandu seront non seulement complices des décisions illégales de celle-ci mais se rendront également coupables devant Dieu ! « Nous n’avons pas le droit moral et ce n’est pas chrétien de voter pour elle », a-t-il conclu. Sous l’influence de Moscou, les dignitaires religieux ont lancé des insultes invraisemblables à l’adresse de la candidate. Elle ne serait pas digne d’occuper une telle fonction parce qu’elle n’est pas chrétienne, entre autres parce qu’elle soutient les revendications des LGBT. L’évêque Marchel se faisait ainsi l’écho de Igor Dodon qui avait insinué lors d’un débat télévisé que Maia Sandu appartiendrait à une minorité sexuelle, serait soutenue par les homosexuels et aurait favorisé l’entrée de plusieurs réfugiés syriens en Moldavie. Qualifié par l’évêque de « patriote et ami de l’Église », Igor Dodon n’a pas manqué de rappeler récemment que « Notre Église est le fondement de la République de Moldavie. Pour cette raison nous ne pouvons pas permettre que des valeurs étrangères soient appliquées ici. »

« Je n’ai pas besoin de la bénédiction du métropolite de Moldavie pour faire des déclarations d’ordre politique », a répondu le prélat lors de la conférence de presse à la question d’un journaliste qui lui rappelait que le dernier synode de l’Église orthodoxe de Moldavie stipulait que « les prêtres qui font des déclarations publiques sans l’aval de la Métropolie seront sanctionnés ».

« Le prochain Président doit être marié »

Mais le métropolite de Chişinău et de toute la Moldavie, Vladimir, a lui-même pris position pour Igor Dodon lors de la messe consacrée à la sainte Parascève. « Le prochain Président doit être marié », a-t-il déclaré en faisant allusion au fait que Maia Sandu n’est pas mariée et en rappelant son opposition catégorique aux minorités sexuelles. Il justifie sa prise de position de la manière suivante : « Comme Église orthodoxe, nous ne pouvons pas donner des indications à nos chrétiens, mais nous pouvons en revanche les conseiller pour qui voter. »

Les attaques contre Maia Sandu ne semblent pas avoir eu l’effet escompté par les socialistes, estime Iurii Botnarenco dans Adevarul. Bien au contraire, les jeunes, qui n’ont pas massivement voté au premier tour, donnent des signes assez clairs de mobilisation surtout dans l’espace virtuel, décidés de ne pas prêter l’oreille aux mensonges et attaques lancés par les socialistes. Il en va de même pour les Moldaves de la diaspora. Des comités de soutien ont été créés, on discute beaucoup, on fait référence à l’élection présidentielle roumaine de 2014 quand Klaus Iohannis a gagné à la surprise générale grâce à la forte mobilisation des réseaux de socialisation.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il est difficile de partager l’optimisme de cet auteur. Les partisans ecclésiastiques de Igor Dodon font partie l’Église orthodoxe de République de Moldavie qui se trouve sous la juridiction de la Patriarchie de Moscou. Celle-ci est nettement plus puissante qui la Métropolie de Bessarabie réactivée par l’Église orthodoxe de Roumanie, qui sur les problèmes de société ne fait d’ailleurs pas preuve de plus d’ouverture. Ce mélange de conservatisme et autoritarisme entretenu par l’Église orthodoxe a une influence non négligeable auprès de l’électorat, y compris moldave roumanophone (moldavophone), qui joue aujourd’hui en faveur des socialistes comme il a joué hier en faveur des communistes. Les premiers comme les seconds ont d’ailleurs su récompenser la hiérarchie orthodoxe pour le soutien apporté.

Le retour de la géopolitique

Les efforts de Maia Sandu et de ceux qui la soutiennent pour mettre au centre du débat non pas la géopolitique mais les questions liées à la corruption et au contrôle de l’exercice du pouvoir semblent favoriser leurs adversaires qui ont tout intérêt à mettre en veilleuse leurs liens étroits avec Moscou pour gagner des secteurs hésitants de l’électorat. Le fait que Dodon lui-même et ses partisans aient déjà fait leurs preuves en matière de corruption - au même titre que certains membres de l’actuel gouvernement dit pro-européen, aujourd’hui inculpés - ne pèsera pas forcément beaucoup sur le résultat à venir. Dans la confusion générale alimentée par l’influence grandissante de Moscou et le soutien de principe, sans engagement effectif, plutôt embarrassant, apporté par la Roumanie aux partisans du retour inconditionnel à la mère-patrie, ou encore par l’aversion pour les politiques en général rendus responsables de l’appauvrissement du pays, tout indique que les clivages d’ordre géopolitique vont l’emporter en dernière instance sur les préoccupations liées à la bonne gouvernance qui avaient pourtant prévalu au cours des deux années qui viennent de s’écouler. Au premier tour, Igor Dodon a obtenu ses meilleurs résultats dans le nord et le sud du pays auprès des électeurs russophones surtout mais aussi parfois roumanophones favorables à Moscou, hostiles à la Roumanie ou tout simplement réticents à l’égard de l’Union européenne, Maia Sandu dans les régions du centre du pays, plutôt roumanophone, acquises aux partis favorables à Bruxelles ou à Bucarest. Certes, une très forte mobilisation de la jeunesse pro-européenne pourrait avoir son effet, mais elle pourrait à son tour être neutralisée par la mobilisation des Gagaouzes, traditionnellement favorables à Moscou, qui avaient peu voté au premier tour.