BLOG • PUDDING THÉÂTRE : Quartier de l’université, Skopje

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Les jours se suivent. Notre petite auberge de jeunesse malgré l‘étroitesse de certaines chambres est un endroit très agréable pour se reposer de nos longues journées. Le Monsieur et sa Dame qui la tiennent sont l’incarnation de la gentillesse. Lui, est, était, historien. Il a montré aux filles un de ses ouvrages. Un pavé bien documenté sur un des rois de la Macédoine. Quand il essaie de parler français, on se retient de ne pas se comporter avec lui comme avec notre grand-père.

Ca y est. Il y a quelques jours, la nouvelle est tombée : nous n’avons pas l’Europe ! Comme la réponse intervenait durant notre séjour de création ici, nous avions fait le choix de tenir tous les engagements qu’incluait ce dossier…qui n’a pas été retenu.
Nous tâchons de ne pas trop y penser. De se cantonner à l’artistique. Mais c’est un énorme Damoclès obèse qui est suspendu au-dessus de la création et de la Compagnie.

L’équipe commence à fatiguer, à se tendre un peu ; mais le travail continue à bien avancer. Nous sommes arrivés en débrouillage à la fin du plateau 2. Comme ce tableau-ci est celui du chaos, de notre pays envahi par son voisin, de ses populations contraintes à l’exode… certains de nos personnages se retrouvent face à des décisions de vie dictées par le destin. C’est un travail minutieux dans les intentions, dans ce qu’on donnera à lire à notre public.
Eviter d’être trop simpliste. Se méfier du pathos qui apparaît à chaque détour de scènes. Bien garder en tête que ce qu’on veut montrer ce sont des histoires individuelles, des parcours de vie qui peuvent être plausibles à n’importe quel endroit du monde écorché, mais qui, en même temps, correspondent à une vie particulière à un instant particulier dans des circonstances particulières.
Comment donner à lire les émotions sans tomber dans la sensiblerie. Comment montrer des militaires, par exemple, sans tous les affubler d’une mine patibulaire, agressive, assassine ; sans non plus les faire anges, victimes de l’autorité, du pouvoir. Chercher le juste équilibre, manier avec réflexion la fibre émotionnelle de nos spectateurs.

Ici, le travail vidéo en XXL se creuse, s’interroge, se confronte à la contrainte de diffuser des images en 360° sans pour autant disposer 10 écrans de projections sur nos plateaux. Trouver l’intelligence de l’image et du support, notre intelligence.

On travaille en enchaînements. Apparaissent encore des effets et problématiques auxquels on n’avait pas pensé ; mais de moins en moins. Le principe de l’enchaînement est aussi très bénéfique pour les comédiens, qui commencent à avoir une vue d’ensemble de l’évolution de leur personnage.

Sylvain est de retour aujourd’hui. C’est bien de revoir sa bonne bouille barbue. Et son œil aiguisé. Et de profiter aussi de son recul. Marcel et Céline, le père et la sœur de Christof et Clovis sont en visite depuis hier. C’est doux de les avoir là avec nous.

On écume les restaurants aux abords de l’université. La nourriture ici est un peu moins exclusivement à base de viande que dans les 2 pays précédents. Notre organisme est content. On imagine quand même qu’au retour on devra suivre une cure de désintoxication en règle. En enlevant quelques grammes de viande par jour, par degré raisonnable pour ne pas sevrer notre corps trop violemment !
En attendant nos repas, là au restaurant, les comédiens ont sorti leur cahier et commencent à se familiariser avec les mots en Macédonien de leur personnage. Jordan Pvelves, partenaire de Géopolis, recteur de l’Université et ancien ambassadeur en France (dramaturge également, réalisateur, conférencier…la parenthèse serait longue…), s’est prêté au jeu des traductions.

Ici, en Balkanie, on aura vraiment appréhendé la langue, les langages. On ne compte plus le nombre de fois où 3 langues cohabitent dans une même conversation.

Hier, nous avons été invités à assister à une présentation de travail des élèves de première année du « conservatoire-théâtre » de l’Université.
Nous pensions que ce serait du Tchekov mais c’était visiblement un montage de plusieurs auteurs. Par moments le mot Makedonia ressortait ; un montage de textes d’auteurs réactualisé.
Reçus comme des invités de marque, nous n’avons bien-sûr pas compris grand chose. La langue se déversait. Les élèves avaient tous une superbe diction, un flot de paroles sans accroche. Comme dans toutes les présentations de ce genre, on voit très rapidement ceux qui se détachent du lot, ceux qui, dans notre jargon, ont la niaque. Qui resteront vraisemblablement dans le métier. Mais tous sans exception avait un réel investissement, tenu ; ce qui est plutôt rare chez des élèves de première année.
Serrés les uns contre les autres sur nos chaises, dans la chaleur qui commençait à monter ; on a dû leur faire un drôle d’effet : un public aux yeux ronds, extrêmement attentif, mais évidemment, pas très réceptif au finesse de la langue. Je ne sais pas si c’est la ligne théâtrale d’ici, ou un choix de mise en scène, ou la jeunesse des comédiens, mais tout était, quasi tout du long, extrêmement investi, violent souvent… des répliques jetées à la figure, des chaises qui tombent au sol dans un bruit de ferraille, des armes, factices bien-sûr, mais des armes. Et pour contrecarrer, des chants. Daniel, un de nos comédiens, danseur et musicien, faisait remarquer qu’ils ont, ici, garder la tradition chantée, qu’on a perdu en France.
Tous ces jeunes, ensemble, en regard sur leur public, chantant avec leur cœur et leur corps, tous entiers dans le chant ; c’était comme un cadeau.

S. Faivre