Blog • Ivan Goran Kovačić, auteur naturaliste ou simple amoureux de la nature ?

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Dans mon dernier post, j’avais promis deux poésies et vous n’en avez eu droit qu’à une seule.. Je me rattrape donc en vous proposant une deuxième poésie d’Ivan Goran Kovačić, un véritable hymne à la mélancolie de l’automne, parfaite pour ces premières journées véritablement automnales.

La poésie fait toujours partie du recueil « Izbrane štokavske pjesme », elle parut pour la première fois sur la revue Danica en 1931.

L’automne dans ma chambre

Le silence est lourd, dehors l’automne pleure,
et toutes ses choses muettes entrelacent la lourde obscurité.
Les branches mouillés larmoient en se pliant plus fort
et comme face à la mort désespérées arrachent l’air.

La chambre est glacée, derrière les vitres poussiéreuses
ruissellent de lourdes gouttes recueillant la poussière.
Les choses mortes se taisent, le brouillard s’étend,
laissant passer un vent fort comme la peur.

Quatre sont les murs comme quatre sont les secrets
jaune et humide se tient le plafond creusé,
toutes les ombres sont plus noires. A travers les gouttes brille étincelant
le souvenir du bouquet des couleurs estivales.

Et tout est déjà mort, seul l’automne est gravide,
il se retire avec le brouillard et creuse comme la taupe,
de la fatigue mes épaules s’écroulent -
jusqu’à ce que l’automne entre en moi comme la mort.

L’automne rentre dans la chambre du poète, à travers le froid, l’humidité des vitres et du plafond, les murs de la chambre n’arrivent pas à interposer une barrière à la pénétration de l’eau.

L’eau est partout dans cette poésie, dans les larmes de l’automne, dans les branches mouillées des arbres, dans les gouttes de la condense sur les vitres, comme dans le brouillard qui se laisse traverser par le vent. L’eau rentre aussi dans la maison en empreignant le plafond qui s’écroule sous son poids. Voir, l’eau a pris la place de la lumière, elle a fini par absorber la lumière même qui est présente uniquement, dans cette poésie sombre, dans la transparence lumineuse des gouttes.

L’été, n’est qu’un souvenir étincelant et lointain qui se reflète dans la surface de l’eau, mais il n’est plus là, il a laissé sa place à l’automne, qui grossit, prend du corps, se reversant subrepticement, là où il arrive à percer, comme une taupe qui creuse dans le terrain, jusque dans le crops et l’âme du poète.

La nostalgie pour l’été passé et pour la chaleur et la luminosité de ses couleurs, grâce à l’eau et au froid de l’automne, arrive à pénétrer non seulement à travers les murs de la chambre, mais aussi à travers le membres de l’auteur qui se retrouve envahi par l’automne, la mort dans l’âme.

Cette image de l’eau et de l’humidité comme protagonistes, au même titre que l’auteur de la poésie, se retrouve dans un autre auteur, nous allons de suite rappeler l’incipit du roman de Guy de Maupassant, Une vie : « Jeanne, ayant fini ses malles, s’approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas. L’averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel bas et chargé d’eau semblait crevé, se vidant sur la terre, la délayant en bouilli, la fondant comme du sucre. Des rafales passaient pleines d’une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l’humidité qui pénétrait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier ; »

Dans le roman de Maupassant, l’eau est présente dans des moments clés de la vie de la protagoniste, elle sert donc, non seulement pour donner du rythme au roman, mais elle y joue un rôle déterminant dans le destin même de la protagoniste. Cela suivant le goût « naturaliste » de l’époque, bien que Maupassant se détache soit du « naturalisme » que du « réalisme », les deux courantes littéraires de fin XIXème siècle.

Chez Kovačić, l’eau au contraire est présente en tant qu’élément de la nature, entité non pas abstraite, mais concrète, faisant partie de la réalité et pouvant l’imprégner de sa substance matérielle et la transformer, sans que l’on puisse savoir à l’avance, la direction qu’elle prendra, parce que quatre sont les secrets, comme quatre sont les parois de la chambre et les points cardinaux.