Blog • Croatie : instant présent et bonheur dans la poésie d’Ivan Goran Kovačić

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Ivan Goran Kovačić

En juillet dernier, je vous avais proposé un article sur le poète croate Ivan Goran Kovačić, je vous propose de poursuivre la découverte de l’auteur à travers la traduction en langue française de deux de ses poèmes :, « Vjetar u šumi » paru dans la revue Danica en 1931, et faisant partie du recueil Izbrane stokavske pjesme, auquel appartient aussi le fameux poème « Jama », dans l’édition de 1975 (Ivan Goran Kovačić, Novele, pjesme, eseji, kritike i feljtoni, Pet stoljeca hrvatske unizenvosti, Zagreb : Zora Matica Hrvatska, 1975, 300 p.)

Le vent dans la forêt

Aujourd’hui la forêt est pleine de la musique du vent
qui siffle, sanglote, sussurre et sonne
les fiacres du vent dégringolent et les chevaux hennissent
aujourd’hui à travers le ciel les oiseaux soulèvent le vent et le pourchassent

Aujourd’hui on entend les sons les plus beaux et le silence,
aujourd’hui les gens sont dans la paix ainsi que celui que tout le monde prie,
et la foret délire et se plaint, chaque chevelure d’arbre et homme
se fâche et ondoie,
lève les poings fermement et s’écroule tout entier sous la douleur

Les chevaux noirs fachés du vent se roulent sauvages et hennissent,
lorsque le ciel est noir comme de la fonte, en lui les canons menacent.
Le moulin du vent sonne, les chevaux courent de plus en plus vite,
et avec eux volent les lourds nuages comme des oiseaux géants.

Aujourd’hui la forêt est vivante et joue de ses chaines
parce qu’elle est étroitement lié pour ne pas s’en aller.
Aujourd’hui elle est un géant qui secoue les chaines et crie,
délire, se plaint, menace, jusqu’à ce que les vents chevaux noirs hennissent ;
tant que les gens sont pâles et silencieux, les membres dénudés se taisent,
se dressant, ils se plaignent misérables et prient des prières sans interruption.

Aujourd’hui moi aussi je suis heureux,
jusqu’à la crampe qui me serre le poing.
Je suis un géant fâché qui sanglote et se plie :
les chevaux, les miens, sont aujourd’hui sauvages et rapides,
et ils ne font pas peur à mes yeux, parce qu’ils aiment la forêt vivante ;
tant que les gens sont pâles et silencieux, tant que les membres dénudés se taisent,
se dressant, ils se plaignent misérables et prient des prières sans interruption.

La poésie est rythmée par la rime, que je ne suis, hélas, pas arrivée à rendre dans la traduction et par le mot « aujourd’hui », qui revient deux fois dans quatre couplets sur cinq — seul celui du milieau en est dépourvu, couplet complètement dédié à la contemplation des éléments de la nature, une pause de pur ravissement poétique.

Le mot « aujourd’hui » repété dans le texte ramène l’attention au moment présent, au moment précis où le vent resonner de son bruit dans la foret, un bruit puissant comme des chevaux sauvages en course ou un géant enchainé essayant de se libérer. Le ciel fait d’écho aux bruits du vent dans la foret avec le mouvement de grosses nuages et le bruit des tonnerres au loin.

Et l’homme ? Rien ne peut l’homme face à la force des éléments de la nature, pale et silencieux, plié sous sa douleur à lui, il n’arrive pas à apprécier l’instant présent, il ne lui reste donc que de se taire, ou à la limite de se plaindre ou prier soumessent, en se refugiant dans des conduites repétées, d’habitudes prolongées dans le temps qui ont perdu du sens et surtout qui lui empechent d’etre dans l’instant présent. Seul le poète sort du lot et, remplit par le spectacle et la puissance de la nature, s’identifie à elle et reconnait d’en faire partie, parce que la vie doit etre vécue dans l’instant présent, aujourd’hui, à chaque moment, comme la nature nous enseigne.

Le bonheur ce n’est qu’un instant, il se cache dans un moment de contemplation de la nature, dans une pause méditative, dépourvue d’attentes, gratuite, comme peut etre le sifflement du vent dans les feuilles des arbres.

Dans les mots d’une autre écrivaine contémporaine, Justine Picardie, « Hapiness is so often elusive when we try to pin it down - like a butterfly, its capture migh kill it - yet its delicacy makes it all the more magical ».... Le bonheur c’est un instant fragile à piquer immédiatement avec le risque de le perdre tout de suite, mais dans cette faiblesse-délicatesse il y a toute la magie de cet instant. (Picardie Justice, The art of Hapiness, Letter, Harper’s Bazaar, U.K. Edition, August 2016.

Une magie qui transforme notre vécu au quotidien, tout comme elle transforme l’autuer de la poésie, qui non seulement à capturé un instant de bonheure, mais à contact avec la nature il se sent envahi de la force de celle-ci, il s’y identifie. Dans cette identification on trouve le « manifeste » du poète Ivan « Goran » Kovacic, sa poétique se tient toute là, dans le choix d’ajouter à son propre nom de bapteme Ivan, le nom « Goran », qui justement et pas pour hasard, signifie montagne, forêt.

En 1931, la grandeur de la montagne et la puissance de la nature sont déjà en lui, en se donnant ce nom il a voulu mieux les représenter tout comme il le fait dans le dernier couplet de ce poème.