Blog • Balkans : adieu l’UE, bonjour l’OTAN ?

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L’élargissement européen est en panne, mais le Monténégro rejoint l’OTAN.... L’Alliance atlantique se porte bien et développe une politique plus agressive que jamais en Europe orientale. Peut-elle « remplacer » un projet européen en crise ?

L’Union européenne soutient les Balkans comme la corde soutient le pendu, avais-je envie d’écrire au sortir du dérisoire Sommet de Paris de lundi dernier, avant de comprendre qu’il serait encore plus juste de dire qu’en fait, ce sont les Balkans qui soutiennent l’UE (toujours comme la corde soutient le pendu).

Qui, en effet, a le plus besoin de qui, dans ce jeu de dupes qu’est devenu le « processus d’intégration » ? Les dirigeants des Balkans, ces petits autocrates corrompus et mégalomanes, sont arrivés verts de trouille au Palais de l’Elysée, le lundi 4 juillet, toutes les sources les plus fiables le confirment. Verts de trouille, car ils s’attendaient bien à s’entendre annoncer la fin du processus d’élargissement… Et puis, non ! Les « bonnes paroles » creuses et vaines de Hollande, Merkel, Mogherini and C° ont suffi à les rassurer : malgré le Brexit, l’élargissement reste à l’ordre du jour. Oh, bien sûr, pas pour demain, ni après-demain ni le mois prochain, mais un jour viendra bien… Ces bonnes paroles, c’est comme donner une bouffée d’oxygène à quelqu’un qui se noie avant de lui replonger la tête sous l’eau.

Malgré le Brexit, the show must go on

Les médiocres élites politiques des Balkans ont besoin de cette bouffée d’oxygène car leur seul programme politique, leur seul facteur de légitimation politique et morale repose sur cette promesse d’intégration (associée aux sempiternelles promesses de bonne gouvernance, de lutte contre la corruption et de développement économique). Les « bonnes paroles » leur ont donc donné cette salvatrice bouffée d’oxygène, et ils espèrent bien – en tant que caste politicienne comprador – parvenir à garder la tête hors de l’eau, quitte à y enfoncer un peu plus leurs peuples. Mais les dirigeants européens ont encore plus besoin de parvenir à faire semblant, à faire comme si, malgré la réalité du Brexit, l’illusion de l’élargissement avait encore un sens et une réalité. The show must go on et, pour cela, la complicité des élites politiques balkaniques est indispensable : eux seuls peuvent encore donner un semblant de crédibilité au projet européen, en faisant croire qu’il demeure souhaité et réaliste, qu’une dynamique politique existe encore.

Les plus rusés de ces dirigeants balkaniques sauront négocier, au mieux de leurs intérêts, cette paradoxale position de force qu’ils détiennent : non pas, certes, pour obtenir des avantages réels pour leur pays, mais pour écarter toute critique qui pourrait être émise sur leurs dérives autoritaires et affairistes. Le parrain Đukanović et le rusé Vučić l’ont bien compris, et ils sont repartis pleinement rassurés du Palais de l’Elysée.

A Skopje, mon ami Arsim Zekolli me rappelait, il y a déjà quelque temps, que le déclin de l’Empire romain est devenu évident quand les « barbares » ont conquis le centre de l’Empire : non pas d’abord avec les armes, mais bien plus tôt, quand les chefs des tribus « alliées », celles qui devaient garder le limes, les frontières de l’Empire, ont acquis assez de poids politique pour dicter leurs agendas politiques et pour imposer les empereurs de leur choix. L’Union a encore l’illusion de se croire forte et puissante, mais en réalité, les chefaillons des « tribus alliées », les « fédérés » du limes balkanique ont déjà acquis un pouvoir politique démesuré à Bruxelles, au cœur même du système, à la fois par les réseaux d’obligés qu’ils financent, au Parlement européen, à la Commission, mais surtout parce que dans l’angoissante situation de vide politique où se trouve l’Europe, ils sont devenus incontournables.

Dans son allocution à la presse, au sortir de la rencontre avec les chefs de gouvernements des Balkans occidentaux, François Hollande a précisé les nouveaux enjeux de la « coopération » entre l’UE et ces pays, avec deux priorités : la lutte contre le terrorisme et les migrations. Après avoir chantonné l’antienne bien connue sur l’Europe et la paix, le Président de la République a pris son ton le plus grave et résolu pour parler de cette lutte contre « la migration » et pour la défense de « nos frontières ».

L’Europe, c’est donc une affaire de défense, de sécurité et de frontière, mais pour cela, pour défendre « nos » frontières menacées par les hordes sauvages, l’UE est-elle vraiment la mieux armée ? Non, bien sûr que non, « l’Europe de la défense » est un fameux sujet de rigolade qui enflammait les fins de repas de la fin des années 2000, mais que plus personne n’aurait l’idée d’évoquer encore. Ne reste donc que l’OTAN. Et cette Alliance-là, à Dieu ne plaise, est en fort bonne santé et poursuit son élargissement, sans hésitations ni états d’âme. Ce week-end, lors du Sommet de Varsovie, elle va confirmer définitivement l’adhésion du Monténégro, tout en renforçant ses dispositifs en Bulgarie et Roumanie et en poursuivant ses subtils jeux d’approche avec la Serbie.

Au-delà des vicissitudes du calendrier politique quotidien, imaginons les Balkans dans cinq ans : aucun nouveau pays n’aura rejoint l’Union européenne, c’est une évidence, mais l’OTAN aura peut-être bien intégré la Serbie, le Kosovo, la Macédoine, la Bosnie en tout ou en partie…

Exit donc le « rêve européen », ne reste plus aux pays des Balkans que l’allégeance militaire qui doit garantir leur « sécurité » face aux menaces externes

En confirmant ainsi sa capacité d’extension, l’OTAN s’impose comme un acteur politique essentiel, mais il ne propose bien sûr rien d’autre que ce qu’elle sait faire. Avec l’Alliance atlantique, il n’est pas question de démocratie, de liberté d’expression ni d’un quelconque modèle de société, mais uniquement de défense et de sécurité. Le souci de l’Alliance atlantique pour le fonctionnement de l’Etat de droit dans les pays candidats ne renvoie, en réalité, qu’à la fonctionnalité des Etats que l’Alliance veut intégrer – la Turquie est ainsi un Etat parfaitement fonctionnel et l’OTAN, depuis 1952, n’a jamais rien trouvé à redire à la situation des libertés fondamentales dans ce pays.

Exit donc le « rêve européen », ne reste plus aux pays des Balkans que l’allégeance militaire qui doit garantir leur « sécurité » face aux menaces externes – celle des malheureux réfugiés, chassés par les guerres ou la misère, qui continueront de franchir clandestinement les frontières des Balkans pour se rapprocher du cœur encore riche de l’Europe, celle, largement fantasmée, de « l’ours russe » qui n’a pourtant jamais exprimé de velléités prédatrices sur la région, et celle enfin de l’insaisissable hydre du « radicalisme islamique ». Surjouer la double menace, le « tsar » Poutine et le « calife » autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi, est indispensable pour justifier la nécessité d’une alliance militaire défensive et offensive…

Mais n’est-ce pas plus logique ainsi ? A-t-on jamais cru que les Balkaniques deviendraient des Européens « de plein droit » ? Tout au plus ils peuvent prétendre au statut d’auxiliaires de l’Empire en décadence – ce que Rome appelait les « peuples fédérés », chargés de défendre les frontières. On sait, dans le cas de Rome, comment l’histoire s’est terminée, avec le sac de Rome par ces mêmes « barbares » en 476, mais l’histoire, rassurons-nous, n’est jamais écrite d’avance. Et si jamais elle doit se « répéter », c’est d’abord sous la forme d’une tragédie, puis sous celle d’une farce.