Est-ce qu’on lit les mêmes romans à Belgrade, Zagreb ou Ljubljana ?
Publie-t-on à Belgrade des auteurs croates ? Qui sont ces éditeurs qui
ont persisté, pendant les années de conflits et d’embrigadement
idéologique, à publier des ouvrages critiques ? Comment se recomposent
des réseaux de diffusion culturelle après la faillite des structures
étatisées ?
De Ljubljana à Bucarest, Anne Madelain explore pour le Courrier des
Balkans quelques aspects des transformations en cours dans la culture,
en particulier dans le monde des livres, à travers une série de
reportages, de portraits et d’interviews.
La grande maison d’édition d’Etat Prosveta qui l’héberge à partir de 1980, la délaisse en 1989, alors qu’elle avait fait connaître en Yougoslavie des auteurs tels qu’Edgar Morin, Claude Levi-Strauss, Roland Barthes, Vladimir Propp, Georges Mounin et bien d’autres. Ivan Colovic, entre temps devenu chercheur en anthropologie politique et fin analyste des sociétés balkaniques [1], persiste et devient son propre éditeur à la faveur de la libéralisation du marché.
L’éclatement du pays et la chute du système organisé de distribution mettent en danger l’activité, mais la montée des nationalismes et l’ouverture des hostilités lui donnent aussi une nouvelle urgence. En ces temps où se développent les idéologies les plus rétrogrades, il s’agit de continuer à diffuser une pensée critique et les outils pour débattre, c’est en ce sens que Biblioteka XX vek entend s’occuper de « théorie », contre le discours ambiant distillé par le pouvoir et les intellectuels va-t-en guerre . Car « la théorie » en ces temps troublés, a beaucoup d’ennemis, et en particulier, selon Colovic, « le sens commun, le dogme idéologique et le dogme religieux qui reviennent en force avec leur arsenal de moyens au service de la violence symbolique et de répression mentale ».
Ainsi, dans les années 90, alors que les nationalistes purifient chacun de leurs côtés l’ex-langue commune et terrorisent la pensée, Biblioteka XXe vek diffuse les analyses du grand linguistique yougoslave Ranko Bugarski sur la langue et les manipulations idéologiques. La collection publie toute une série d’essais critiques sur la question de l’identité nationale, de l’ethnicité et des mythes collectifs, dont par exemple les « Mythes et mythologies politiques » de Paul Girardet, « L’âge des Foules » de Serge Moscovici, « l’identité nationale » de Antoni T Smith. Elle n’hésite pas à présenter des auteurs slovènes et croates, comme le philosophe Rastko Mocnik ou l’anthropologue Dunja Rihtman-Augustin, des auteurs féministes comme Zarana Papic ou Svetlana Slapsak. Au catalogue également des classiques des sciences sociales, tels l’anthropologue Jean Cuisenier, l’ethnologue Herman Bausinger ou encore Clifford Geetz, Edward Saïd, Marc Augé.
Autrefois, Prosveta disposait d’un réseau de librairies dans tout le pays. Alors que la guerre a pratiquement interrompu tous les liens intellectuels entre les ex-républiques fédérées, Colovic tente aujourd’hui de réorganiser la distribution à Ljubljana et Zagreb : « pour moi, il est important de garder un espace de travail commun » déclare-t-il. Même si ce réseau demeure artisanal (un libraire de Zagreb vient une fois par an faire sa commande et à Ljubljana, la vente se fait essentiellement par correspondance), « il est important que les livres restent disponibles ».
Catalogue disponible sur www.xxvek.co.yu
Biblioteka XX vek
Milesevska 53, 11000Beograd
ivcol@eunet.yu
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