Blog • Le rouble transnistrien, symbole d’un Etat fictif

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En 1994, la Transnistrie s’est dotée d’une monnaie artificielle qui n’a aucune valeur hors de ses frontières. Ce rouble n’est reconnu par aucun pays au monde, à l’image de l’indépendance que les autorités de Tiraspol ont proclamée il y a un quart de siècle. Pourtant, c’est aussi une réalité palpable...

Depuis quelques années, je garde dans mon porte-feuille un étrange billet orange valant un rouble transnistrien, soit cent pièces d’un kopeck. Il me rappelle mon dernier séjour en Transnistrie, cette petite bande de terre qui a fait sécession de la Moldavie en 1991 mais qui en fait toujours partie officiellement.

Côté pile, le visage d’Alexander Souvorov, dernier généralissime de l’Empire russe, encensé pour n’avoir perdu aucune bataille au cours de sa longue carrière. Ce grand stratège, auteur de la Science de la victoire, apparaît également sur les billets de 5, 10 et 25 roubles émis par la Banque républicaine de Transnistrie. Côté face, un dessin du mémorial de Chițcani. Ce gros village, l’un des plus anciens de Moldavie, a été le théâtre de violents combats en 1992, lors de la guerre civile qui opposa les séparatistes de la région à l’armée régulière moldave.

Un jour, en payant mon café à Chişinău, j’ai tendu ce billet à une serveuse, le confondant avec un leu moldave. « Ah non, ça c’est une devise étrangère ! », m’a-t-elle corrigé, avec un sourire. « Etrangère », pas tout à fait ! En fait, elle n’a tout simplement aucune valeur hors de Transnistrie. Elle a été inventée de toute pièce par les séparatistes qui ont pris le pouvoir à Tiraspol et aucun Etat au monde ne la reconnaît.

Quelques dizaines de kilomètres à l’est de Chişinău, les roubles transnistriens s’échangent pourtant facilement contre des dollars, des euros, des roubles russes, des hryvni ukrainiennes ou des lei moldaves. Sur la base de cours complètement arbitraires, il en faut 12 pour obtenir en ce moment un euro, 11 pour un dollar américain.

Au total, huit billets différents sont actuellement en circulation dans la région. La plupart d’entre eux a évolué au gré des séries imprimées depuis 1994 par la Banque républicaine. Jusqu’en 2000, le plus petit valait 1000 roubles, était vert et avait pour symbole le Soviet suprême de Transnistrie. Il a été remplacé par mon fameux billet orange d’un rouble qui a viré au marron en 2007.

Aujourd’hui, ceux de 50, 100, 200 et 500 roubles glorifient aussi des personnages illustres, respectivement le poète ukrainien Taras Chevtchenko, l’écrivain, compositeur et prince roumain Dimitrie Cantemir, le maréchal russe Piotr Roumiantsev et Catherine II, l’impératrice de toutes les Russies. Au dos de chacun, un édifice religieux, administratif ou industriel de la région est mis à l’honneur.

Ces billets sont autant de trésors pour les collectionneurs en quête de devises « exotiques ». A eux seuls, ils symbolisent la complexité d’une Transnistrie qui n’est reconnue par aucun pays, pas même la Russie qui y exerce pourtant une influence économique et politique énorme, un quart de siècle après la chute de l’Union soviétique.