Blog • L’ours, la chèvre et la petite charrue

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Quand l’année touche à sa fin, la même fable bruyante et haute en couleurs s’écrit en Roumanie et en Moldavie. C’est le colindat, un joyeux porte-à-porte entre rite païen et ferveur religieuse. Depuis 2013, il est inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco.

Un dimanche matin, blotti au fond de mon lit dans les quartiers ouest de la capitale roumaine, je suis réveillé par un vacarme de tous les diables. Je me traîne jusqu’à la fenêtre. Entre les barres d’immeubles usées par le temps, une petite troupe de rigolos parade en tapant sur des tambours, en sifflant à tue-tête et en exécutant des pas de danse assez disgracieux. Encore à moitié endormi, je crois aussi apercevoir deux chèvres multicolores et deux ours avec des pompons rouges accrochés aux oreilles...

Au même moment, on s’agite dans ma cage d’escalier. Six bambins en habits traditionnels font du porte-à-porte. Plus de doute, il s’agit des colindători, en français « ceux qui marchent en chantant ». Ils proposent à ceux qui veulent bien ouvrir, ce qu’on appelle des colinde, des chants traditionnels de fin d’année. En retour, ils reçoivent des petits pains baptisés colaci, l’équivalent chez nous des cougnous.

Mon tour arrive. Les petits me chantent avec application Jésus, Bethléem et les rois mages. Une prestation presque automatique, beaucoup moins spectaculaire que celles auxquelles j’ai pu assister dans les campagnes du nord du pays. Qu’importe, les frimousses de ces enfants sont trop attendrissantes pour les laisser repartir les mains vides. Je n’ai pas de colac à la maison, ce sera donc des clémentines !


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« Ces cérémonies sont encore populaires dans les Balkans et particulièrement en Roumanie durant les douze jours qui précèdent la veille de Noël et jusqu’à l’Epiphanie », selon l’historien des religions Mircea Eliade.

Mais si aujourd’hui les chants traitent le plus souvent de la naissance de Jésus, cette thématique n’apparaissait pas à l’origine du colindat, née avant la christianisation du territoire actuel de la Roumanie. Les colinde étaient en effet déclamés lors de grandes fêtes agraires pour chasser les mauvais esprits et souhaiter à tous chance et abondance autour du solstice d’hiver.

C’est pour rappeler cet héritage que certains colindători se déguisent encore aujourd’hui en chèvre ou en ours. La chèvre annonciatrice chez les Romains d’une bonne récolte, l’ours, maître des énergies cosmiques et symbole de fertilité dans l’Antiquité. On retrouve aussi ces racines agraires des colinde dans plusieurs textes dont le célèbre chant de la petite charrue (plugușorul en roumain), revisité avec énergie par les ethno-rockers de Zdob și Zdub.

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