Blog • Le « non » grec, pour faire tomber les murs de l’Europe et des Balkans

|

Quelle est aujourd’hui la plus grande menace qui pèse sur le projet européen ? Assurément pas le référendum grec, mais le renoncement au principe de libre circulation des personnes et l’abandon des valeurs fondatrices de l’Union.

Enfants syriens à Preševo (Serbie)
© Laurent Geslin / #openEurope

Alors que la perspective d’une victoire du « non » au référendum de dimanche fait trembler la droite européenne et ses alliés, le continent se hérisse de murs : mur bulgare face aux frontières de la Turquie, mur hongrois en construction face aux frontières serbes, sans oublier les contrôles de police rétablis par la France à la frontière de Vintimille et ceux que le land de Bavière pratique déjà depuis des années, avec discrétion mais de plus en plus systématiquement, sur ses frontières avec l’Autriche.

Des frontières entre la France et l’Italie, entre l’Allemagne et l’Autriche : cela signifie que l’espace Schengen est mort, même si personne n’a cru bon de publier son acte de décès. Ne nous y trompons, les fossoyeurs de l’idée européenne sont à Sofia, Budapest et Paris, pas à Athènes. Ils s’appellent Viktor Orban, Boyko Borisov, Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve.

Les fossoyeurs de l’idée européenne sont à Sofia, Budapest et Paris, pas à Athènes. Ils s’appellent Viktor Orban, Boyko Borisov, Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve

L’abandon du principe de libre circulation des personnes est une remise en cause fondamentale de la construction européenne, tandis qu’en renonçant à l’accueil des personnes persécutés qui fuient la guerre, l’Europe sacrifie ses valeurs les plus essentielles. Le populisme des démagogues sécuritaires, dont Valls ou Orban sont d’excellents représentants, tout comme leur collègue bulgare, le « général » Boyko Borisov, représente aujourd’hui la plus grave menace pour le projet européen. Quelle serait en effet la raison d’être d’une Europe qui renoncerait à être une terre d’accueil ?

Le choeur quasi-unanime des « experts » prétend pourtant que le danger viendrait du référendum grec, ce qui relève d’une stratégie délibérée de mensonge, d’une tentative d’enfumage des citoyens. Le référendum grec et la victoire attendue du « non » obligeront à redéfinir le sens du projet européen. Ils referont de la construction européenne un projet politique, en ouvrant le débat sur les choix possibles, les arbitrages qu’il faut rendre. Les dogmes prônés par des institutions comme la BCE cesseront enfin d’être présentés comme des règles « naturelles » ou des commandements divins impossibles à transgresser. C’est une chance extraordinaire pour l’Europe, c’est l’opportunité de repartir des valeurs qui sont supposées la fonder.

Dans les pays candidats des Balkans, ce référendum suscite pourtant une vague de panique dans les médias dominants et les élites politiques, tous positionnements politiques confondus. En effet, les héraults du « centre-gauche » ou du « centre-droit », version serbe, bosnienne ou albanaise s’efforcent depuis des années de convaincre leurs opinions que l’intégration européenne serait une sorte de loi d’airain ne supposant aucun débat, mais impliquant une série de « réformes » néo-libérales que nul ne saurait mettre en cause. Les nationalistes au pouvoir à Belgrade, les corrompus de Podgorica, Sarajevo, Banja Luka ou Skopje, utilisent depuis des années l’argument européen pour justifier la destruction de tous les mécanismes de protection sociale, interdire tout débat politique et accélérer la dérive autocratique de leurs régimes.

La construction européenne est un projet politique et non pas l’application dévote des douteuses recettes élaborées par une poignée de gourous pseudo-économistes

Le référendum grec libère enfin le débat politique, rouvre le champ des possibles : oui, on peut être pro-européen, mais ne pas souscrire pour autant à « l’orthodoxie » des politiques d’austérité. Il rappelle que la construction européenne est un projet politique et non pas l’application dévote des douteuses recettes élaborées par une poignée de gourous pseudo-économistes.

L’exemple grec, espérons-le, pourrait faire tache d’huile dans des Balkans privés de perspectives politiques, marginalisés dans une position de « périphérie de la périphérie européenne ».

L’argument bulgare, ou comment manger son parapluie

Quelques bons esprits ont néanmoins trouvé le plus inattendu des arguments à opposer aux aspiration démocratiques grecques, l’argument bulgare... Ainsi, selon quelques collègues qui ont, à bon compte, gagné leurs galons de premières gâchettes à l’étonnant cénacle des adeptes de la « pensée » quatremerienne, la Bulgarie, « pays le plus pauvre de l’Union européenne », ferait justement la leçon à ces égoïstes, à ces nantis de Grecs...

Pensez donc ! En Grèce, la retraite moyenne flirterait avec la somme extravagante de 600 euros par mois, tandis que les frugaux Bulgares se contentent de 180 euros. Les Bulgares, voici donc les nouveaux Spartiates des temps d’austérité !

La Bulgarie, et mes amis bulgares sont les premiers à le déplorer, a longtemps fait figure de terra incognita, voire de non-pays, pour le journalisme ou la pensée politique à la française. Au Nouveau dictionnaire des idées reçues, bible indémodable des « experts » en tout genre, elle n’émargeait guère, jusqu’à présent, que sous les articles « parapluie » et « yaourt ». La voici promue en parangon des vertus fiscales, en première de la classe des Européens pauvres. Dans certains cercles parisiens comme bruxellois, on aime bien les pauvres, les bons pauvres, pour peu qu’ils soient propres et dociles.

Les Bulgares, voici donc les nouveaux Spartiates des temps d’austérité !

La Bulgarie a suivi à la lettre toutes les consignes du FMI, elle n’a jamais rompu avec la plus stricte rigueur budgétaire, que la « gauche » ou la droite soit au pouvoir. En conséquence, la dette publique est une des plus faibles de l’UE, les retraités n’ont pas à manger, les jeunes diplômés quittent massivement le pays — les moins qualifiés allant chercher de l’embauche comme manouvriers dans les « riches » pays voisins que sont la Serbie ou l’Ukraine. Le salaire minimum est plus faible qu’en Chine, et aucune, absolument aucune amélioration de la situation économique n’est apparue au cours de la dernière décennie, le pays poursuivant son inexorable déclin, tant social que démographique. Il y a deux ans, à l’hiver et au printemps 2013, des dizaines de Bulgares, poussés à bout par le désespoir, se sont immolés par le feu : voici un exemple à suivre pour réduire les chiffres du chômage, voilà qui mérite bien les félicitations des gourous néo-libéraux.

Oui, entre l’austérité à la bulgare et le rêve grec d’une autre Europe, il y a un choix à faire. Un choix politique, un choix qui peut redonner de l’espoir à tous les peuples d’Europe et notamment à ceux des Balkans, bloqués dans le no man’s land de l’arrêt, revendiqué haut et fort par Jean-Claude Junker, des politiques d’élargissement. Le non grec représente une des dernières chances de rejeter la junkerisation de l’Europe, c’est-à-dire sa mortelle glaciation néo-libérale.