Blog • Une belle journée pour les fascistes

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Ce jeudi 14 mai 2015 a été marqué par deux événements d’une grave signification. La Cour suprême de Belgrade a réhabilité Draža Mihailovic, le chef des tchétniks de la Seconde Guerre mondiale, tandis que la Présidente croate, Kolinda Grabar Kitarović, rendait hommage aux oustachis à Bleiburg.

La Cour suprême de Belgrade a donné l’épilogue d’un procès ouvert voici cinq ans. Le juge Aleksandar Tresnjev a déclaré que la cour avait accepté la demande de réhabilitation, déposée en 2006 par le petit-fils de Draža Mihailović, annulant le verdict prononcé le 15 juillet 1946 qui condamnait à mort le chef des tchétniks, alors déclaré coupable de trahison et crimes de guerre.

Si les tchétniks furent incontestablement, dans un premier temps, des résistants aux occupants allemands et italiens, ils commirent de nombreux crimes contre les populations civiles non-serbes de Yougoslavie et versèrent dans la collaboration avec les nazis – ceci au nom de l’anticommunisme qui les amena à combattre avant tout les partisans de Tito. Churchill lui-même ne s’y trompa pas. Malgré son aversion certaine pour le communisme, il comprit dès 1943 que seuls les partisans se battaient effectivement contre le fascisme et leur apporta le soutien de la Grande-Bretagne, dont avaient initialement joui les combattants de « l’Armée yougoslave dans la patrie ». Le caractère certainement expéditif du procès de 1946 ne change rien à cette réalité fondamentale.

La décision de la Cour de Belgrade, qui ne peut pas faire l’objet d’un appel, revient donc à reconnaître que les tchétniks de Mihailović ont été des résistants tout autant que les partisans. Les courants nationalistes et conservateurs serbes veulent depuis longtemps établir une équivalence entre tchétniks et partisans, et la décision de la Cour renvoie même à Tito la responsabilité d’un crime, l’exécution du général. On peut donc désormais proclamer sa haine des Albanais, des Croates ou des musulmans tout se prétendant l’héritier d’un adversaire du fascisme.

Dans le même temps, la Présidente croate Kolinda Grabar Kitarović, s’est rendu, comme chaque année les plus hauts dirigeants de la République de Croatie, aux commémorations du massacre de Bleiburg, une petite ville d’Autriche située à la frontière de la Slovénie. En mai 1945, plusieurs dizaines de milliers de soldats, de cadres et de fonctionnaires de « l’État indépendant croate » furent tués dans cette région, les forces alliées ayant refusé de leur ouvrir un chemin qui les auraient mis à l’abri des partisans.

« L’État indépendant croate », dirigé par les oustachis, n’avait d’indépendant que le nom – ce fut un simple dominion des nazis, mais ce massacre n’ajoute rien à la gloire des partisans. C’est un cas de massacre dont il est légitime de faire mémoire mais, depuis l’indépendance de la Croatie, les autorités de Zagreb ont toujours consacré des sommes plus importantes aux commémorations du massacre de Bleiburg qu’à celles de la libération du camp de Jasenovac, où les oustachis torturèrent et massacrèrent Serbes, Juifs, Rroms et antifascistes croates.

Cette année, la nouvelle Présidente a franchi un pas de plus en ne se rendant pas, le 27 avril 1945, aux commémorations de Jasenovac. Kolinda Grabar Kitarović a donc ouvertement choisi son camp : celui des collaborateurs des nazis contre celui des victimes de la peste brune.

Les termes de « tchétniks » et « d’oustachis » avaient refait surface durant les guerres des années 1990, amusant même parfois certains commentateurs étrangers par leur sonorité étrange pour des oreilles non habituées au serbo-croate, évoquant un passé irrémédiablement « tragico-folklorique », une sorte d’invariant fondamental et sauvage des Balkans.

L’identité politique de la Yougoslavie reposait pourtant sur l’antifascisme

L’identité politique de la Yougoslavie reposait pourtant sur l’antifascisme et cet héritage demeure d’une brûlante et indispensable modernité. Cette réalité de la Yougoslavie antifasciste a été détruite dans le sanglant processus de démantèlement de la fédération, et la boucle est désormais bouclée : les héritiers revendiqués des tchétniks et des oustachis sont au pouvoir, tant à Belgrade qu’à Zagreb. Les uns comme les autres se veulent pourtant de fervents « européens ». La Croatie a rejoint l’UE en 2013, et la Serbie est candidate à l’intégration.

L’idée d’unification européenne plonge pourtant ses racines dans la victoire sur le fascisme et, si l’Union européenne d’aujourd’hui oublie l’absolue nécessité de l’antifascisme, si elle laisse s’estomper dans la brume du relativisme les frontières entre les victimes et les bourreaux, elle renie non seulement ses valeurs fondatrices mais elle perd même toutes ses raisons d’exister.

Marine Le Pen prétend parler « au nom du peuple », les néo-tchétniks se proclament « antifascistes », et Kolinda Grabar Kitarović prétend construire une Croatie « moderne, démocratique et européenne » sur l’héritage vicié de la collaboration avec les nazis. Le révisionnisme et la confusion des valeurs politiques et morales préparent les tragédies de demain.