Blog • Kosovo : Kukaj, éco-village en devenir

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Quittant pour un temps la Macédoine, Fanny nous invite à la suivre, en bus et à pied, au cœur des vallées et collines du Kosovo. A la découverte du village de Kukaj et sa communauté internationale et plurilingue : un projet attachant et porteur d’avenir !

C’est par un bus depuis Pristina, que suit une heure de marche dans les collines, que l’on arrive à Kukaj, petit village niché dans l’arrière-pays kosovar.

Kukaj, en serbe Kukavica, regroupe une dizaine de maisons, dont une seule est habitée à l’année. Kukaj ressemble à de nombreux villages des Balkans, où les grandes maisons sur des terrains immenses sont occupées l’été ou le week-end par des familles habitant dans la capitale. Pourtant, cela pourrait bientôt changer. Dans le joli village de Kukaj s’active une étonnante communauté qui s’attelle à redonner vie au village, dans une visée écologique, sociale et créative.

J’y étais venue car je souhaitais rendre visite à des connaissances du réseau unaVision. Ce réseau international regroupe des individus et des organisations germanophones et des Balkans, partageant la vision d’un monde plus habitable et durable pour tout être vivant. Finalement, c’est en parcourant la page internet de unaVision-Kosovo que j’ai découvert qu’un appel à volontaires avait était lancé cet été, afin de venir contribuer à un projet passionnant : créer un éco-village à Kukaj. Partie pour une semaine, j’y suis finalement restée deux, et cela devra se renouveler dans l’avenir.

Au sein de Kukaj, vous trouverez de joyeux personnages. Tout d’abord, il y a Johannes et Sarah, deux Allemands, l’une jeune, l’autre moins, qui pratiquent les Balkans depuis plusieurs années. Ils sont arrivés à Kukaj suite à la rencontre avec Fadil, directeur de théâtre à Pristina. Fadil possède une grande maison et un grand terrain dans le village. Sa particularité est d’héberger depuis cinq ans l’Etno Fest, événement culturel autour de la musique, du théâtre et de la danse au Kosovo. Il y avait donc là le terreau pour un projet ouvert et créatif. Sarah et Johannes ont ainsi choisi Kukaj pour leur proposition d’éco-village dans les Balkans, et l’aventure a commencé.

Le projet est né lors d’une marche il y a deux ans en Macédoine, une dizaine de jours à travers les montagnes et lacs pour partager une vision de ce monde futur. L’idée est venue de créer un lieu qui associe une vie communautaire, avec production de ressources et services de base (nourriture, eau, habitat, école, santé), des activités ouvertes sur l’extérieur, tel que l’écotourisme, des événements culturels et un centre de formation. Cela aurait pu se dérouler en Macédoine, de grands terrains étaient mis à disposition par des habitants et le gouvernement, mais un manque de mobilisation commune a reporté le projet. C’est donc finalement au Kosovo que le premier éco-village d’unaVision pourrait prendre forme, avec l’espoir que de nombreux autres suivront, où qu’ils soient.

Au Kosovo, les souvenirs de la guerre qui a frappé la région à la fin des années 1990 restent présents dans les mémoires. Néanmoins, ceux qui vivent là sont optimistes pour l’avenir et à choisir, ils préfèrent rester dans ces terres qui les ont vu grandir et où coule leur sang. Cela se fera si les conditions d’un heureux futur sont réunies, pour eux et pour leurs enfants.

"Avant la guerre, il y avait près de trois mille personnes qui vivaient là", nous compte Johannes, grâce aux multiples échanges qu’il a régulièrement avec les gens du village. "Notre objectif est donc de construire ce projet avec les habitants, même s’ils ne sont que là occasionnellement, en créant des emplois, afin que les gens reviennent à Kukaj, car il y a un magnifique potentiel ici. Le gouvernement est d’ailleurs prêt à nous céder d’immenses terrains aux alentours pour le projet. Par exemple, le centre de formation concernera les pratiques écologiques et sociales, ce qui sera une première dans les Balkans. Il apportera beaucoup d’activités économiques dans la région, comme l’hébergement et la restauration, des visites guidées d’espaces naturels et culturels, ou encore les transports. Cette dynamique ne sera probablement pas effective pour ceux qui vivent déjà là, les parents et les grands-parents. Pour les premiers projets, ça prendra 2 à 5 ans, et à terme, 10 ou 20 ans, mais pour les jeunes et les enfants, c’est tout à fait possible."

La réaction des habitants est variée. Dans l’ensemble, tous soutienne le projet : revitaliser le village et faire revenir les habitants, avec la création d’emplois et les projets internationaux. Cependant, ils restent assez sceptiques et ont du mal à se faire confiance les uns les autres. L’équipe d’unaVision-Kosovo utilise des techniques de coopération et de créativité, avec les outils de l’Art of Hosting [lien http://www.artofhosting.org/fr/], et de nombreuses rencontres et discussions ont lieu, afin d’amener cette confiance.

Parmi les fervents suppporters du projet se trouve Dauti, voisin immédiat de la communauté. Il chante du matin au soir, dans son jardin ou sur les chantiers, et du haut de ses 78 ans, il est certainement le plus actif du village. L’hiver, il le passe à Pristina, mais préférait rester à Kukaj. Ancien mineur, il est très heureux d’accueillir les invités de l’Etno Fest dans sa grande maison, spécialement construite pour l’occasion. Toujours fendu d’un large sourire, il aime se lancer dans de grandes discussions, sans s’encombrer des barrières de la langue. Albanais d’origine, il parle aussi couramment le serbe, langue qu’il emploie avec moi quand je m’essaie avec mon maigre vocabulaire macédonien. Comme tous les habitants de plus de soixante ans de la région, il n’émet pas de reproche ou de réticence quand l’on jongle d’une langue à l’autre, l’essentiel étant de pouvoir se comprendre. Toujours partant pour donner un coup de main, il dépasse même les idées émises en prenant de sa propre initiative l’arrangement des lieux, le tout en chantant, bien sûr.

Dans les autres rencontres, il y a Ramouch. Kosovar d’origine albanaise, il s’est installé dans la partie serbe de Slivovo, à 30 minutes à pieds de Kukaj, dans les collines. Il est venu s’installer ici, il y a trois ans, pour l’air pur. Ancien ingénieur, à la retraite, il fait pousser dans son immense jardin de deux hectares des milliers de fruits et légumes, pour le plaisir et parce qu’il sait y faire. Il s’est donc montré très enthousiaste au projet, notamment pour la partie agriculture. À Kukaj, il est en effet prévu de faire pousser des légumes et des plantes biologiques en mode permaculture, afin d’assurer l’autonomie alimentaire du village. Ramouch sera donc très heureux de partager ses connaissances avec les membres de la communauté, puisque cela aide les gens. "D’accord pour le projet, mais pas de politique. J’ai plein d’amis serbes ici, et aussi en Serbie. Quand la commission du gouvernement serbe est venue m’enregistrer, ils ont déclaré moins que ce que j’ai pour que je paye moins, mais j’ai dû leur en donner une partie. Ils n’aident pas les gens ici."

L’occidental que je suis pourrait s’étonner de cet heureux mix entre Albanais et Serbes, loin des présupposés clivages ethniques que nous suggèrent nos médias. Il serait faux de dire qu’ils sont inexistants, mais il le serait tout autant de dire qu’ils sont partout.

Par exemple, pour le vieux serbe qui garde la maison d’une famille albanaise, non loin de Ramouch mais côté albanais, les différences ethniques ne sont pas de son quotidien. Ancien mineur, il répond à l’étonnement de notre traductrice quant à la qualité de son albanais. "Je suis né avec des Albanais, j’ai grandi avec des Albanais, donc bien sûr que je parle albanais ! Je n’ai fait de mal à personne, personne ne m’a fait de mal, j’ai les clés de la maison, il y a beaucoup de confiance entre nous."

Un autre exemple peut aussi être Manuella, Albanaise de Tirana, qui est venu au Kosovo se marier avec le serbe Bojan. Elle a appris la langue et accueille le visiteur de passage avec un grand sourire, disant qu’elle est heureuse ici. Elle aide son beau-père à servir la rakia maison, même aux heures très matinales, accompagnée de la salade de tomates, poivrons et fromage type féta, de rigueur.

Au Kosovo, et dans les Balkans en général, ils sont nombreux à connaître l’allemand ou l’anglais. Les conversations jonglent donc entre les différents langages, avec chaleur, dans une curiosité polie et joyeuse. C’est un beau reflet de ce qu’il est possible de réaliser à Kukaj, dans le sens de l’éco-village.

Est-ce que ce projet aboutira ? Très probablement. Cela dépendra des efforts, de la motivation, de la ténacité de chacun. Mais il est en bonne voie.

Pour prendre la température, vous pouvez écouter la carte postale sonore réalisée à l’occasion du concours Arte Radio : Un village nommé Kukaj au Kosovo