Serbie : ces obscurs magnats des médias

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En Serbie, médias et politique demeurent toujours dangereusement liés. Autrefois, le pouvoir plaçait ses hommes à la tête des médias ; aujourd’hui, le contrôle de la presse se fait par des moyens (parfois) plus subtils. Et TV Pink et Informer sont toujours les mamelles de la post-démocratie version Vučić !

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Par Simon Lenormand

D. R.

Qui possède les médias serbes ? Dans un rapport sur la « propriété et le contrôle des médias en Serbie » publié en février 2015, le Conseil pour la lutte anticorruption révélait que sur les 50 médias les plus importants du pays, 27 ne faisaient pas ou seulement partiellement preuve de transparence concernant leur propriétaire. Le Conseil concluait son rapport en insistant sur le fait que « beaucoup des contenus médiatiques ne sont pas le résultat d’un travail d’investigation libre et objectif » et que « la plupart des médias n’œuvrent pas en faveur d’une meilleure information des citoyens, du fait de leur dépendance financière et de leurs connexions avec les élites politiques et économiques ».

La Serbie s’était pourtant dotée l’année précédente d’une série de mesures regroupées au sein de la « Loi sur l’information publique et les médias », censée mettre un terme à ce problème. Mais, comme souvent dans le pays, « le problème ne vient pas des lois mais du fait qu’elles ne sont pas respectées », déplore Milan Dinić, journaliste et spécialiste des médias. Pour lui, la question est primordiale pour établir une vraie démocratie en Serbie. Alors que « le pays est en transition, la politique et les médias sont encore trop interconnectés », estime-t-il.

Parmi les cas les plus notoires, celui du journal Politika, créé en 1904, le titre de référence de la presse serbe. Le groupe de presse allemand WAZ était propriétaire de 50% des parts, qu’il a revendues en 2014 à East Media Group pour la somme de 4,7 millions d’euros. Il s’agit d’une obscure société basée à Moscou dont le propriétaire, l’homme d’affaire Miroslav Bogićević, proche du Parti démocrate (DS) n’était pas clairement identifié jusqu’à récemment. Le reste des parts étant possédé par la société Politika AD, elle-même contrôlée par l’État.

Parmi les exemples les plus fréquemment cités, on retient également le cas de la chaîne N1, déclinaison balkanique du réseau américain CNN et propriété de la société de télécommunication Serbia Broadband (SBB), cette dernière étant elle-même détenue par le fonds d’investissement américain KKR Global Institute, présidé par le général américain à la retraite David Petreus, également ancien directeur de la CIA. « Beaucoup de médias se présentent comme indépendants en Serbie, mais dans la plupart des cas ils sont surtout indépendants de leur public. Ils fonctionnent principalement grâce à des investissements étrangers », analyse le chercheur. Autre exemple qui a fait réagir en Serbie, les cas de B92 et de Prva Srpska Televizija, rachetées par la société grecque Antenna Group via un montage complexe incluant des sociétés offshore. Toutefois, le propriétaire, l’armateur Minos Kyriakou, est connu.

« On sait qui dirige TV Pink »

C’est, entre autres, ce qui fait dire à Stevan Dojčinović, le rédacteur en chef du site d’investigation indépendant Krik, spécialisé dans la révélation d’affaires de corruption, que la question de la transparence n’est plus aujourd’hui un enjeu aussi important que par le passé. « On sait qui dirige Informer, on sait qui dirige TV Pink... Ces médias, qui posent le plus problème et sont très proches du pouvoir actuel, ont un propriétaire identifié », explique-t-il.

Selon le journaliste, le système de contrôle des médias par le pouvoir a évolué en Serbie vers des formes plus subtiles. Il s’appuie notamment sur le fait qu’Informer soit le seul média pro-gouvernemental créé depuis l’arrivée au pouvoir d’Aleksandar Vučić, en 2012. Son propriétaire, Dragan Vučićević, est connu. De même que pour TV Pink, propriété de Željko Mitrović, aussi fréquemment critiquée pour son parti-pris en faveur du gouvernement Vučić. « Les autres médias étaient proches du gouvernement précédent, donc la nouvelle majorité a adopté une approche plus intelligente et plus efficace pour les contrôler », commente le journaliste. Une stratégie au cas par cas.

Principal levier d’influence : les ressources publicitaires issues des ministères et des entreprises publiques. Dans son rapport de 2015, le Conseil anticorruption mettait ainsi en évidence des changements drastiques sur le marché publicitaire serbe survenus après les élections de 2012. Autre moyen de contrôle privilégié pour l’État : le « chantage à la dette ». TV Pink devrait ainsi plusieurs millions d’euros de taxes à l’État, ce qui en faisait, à l’époque de l’étude, le média le plus endetté auprès des services des impôts. « Si l’État réclamait son argent, TV Pink ferait banqueroute. Quand vous voulez gagner de l’argent dans les médias en Serbie, il faut être ami avec le gouvernement », résume Stevan Dojčinović. Un avis partagé par le chercheur Milan Dinić : « Dans les années 1990, on vous envoyait une bande de voyous qui vous mettaient une arme sur la tempe pour vous dire "tu ne parles pas de ça". Aujourd’hui on vous envoie toujours des voyous, mails ils portent des costumes-cravates et vous parlent des revenus que vous pourriez perdre... »

Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.