Liberté des médias en Serbie : Vučić pérore à Davos, RSF attend des mesures concrètes

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Le président serbe recevait lundi une délégation de Reporters sans frontières (RSF). L’organisation attend des mesures concrètes pour améliorer la liberté de la presse. Les associations de journalistes de Serbie dénoncent « l’hypocrisie » des propos d’Aleksandar Vučić, invité à parler de ce sujet au Forum de Davos.

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Aleksandar Vučić recevant la délégation de RSF
© Cabinet du Président de la République de Serbie

Au Forum économique mondial qui s’est ouvert mardi 22 janvier à Davos, le Président Vučić s’est exprimé sur « la liberté des médias en situation de crise ». Entouré de représentants du Washington Post, de Reuters et d’Amnesty International, il a reconnu qu’il n’était « pas fier » de la situation dans son pays, non sans avoir auparavant tenté, sans succès, de mettre en valeur ses résultats économiques. « J’ai parlé hier avec RSF et les ai invités à nous soutenir, à faire venir des experts en matière de subventions de l’État aux médias », a-t-il déclaré. « Et je suis sûr que d’ici un an ou deux, je serai ici, fier de la liberté des médias et de la liberté d’expression en Serbie. »

Des déclarations qualifiées d’« hypocrites » par les association des journalistes indépendants de Serbie et de Voïvodine, selon qui « Aleksandar Vučić n’a aucun droit moral à donner des conseils et recommandations quand il s’agit des médias ». La veille, RSF avait eu un entretien avec le Président serbe. Nous publions son communiqué.


Lors d’un entretien au palais présidentiel à Belgrade, lundi 21 janvier 2019, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) Christophe Deloire a eu un échange direct avec Aleksandar Vučić. Cette discussion d’une heure et demie, en présence de la responsable de RSF pour la région, Pauline Adès-Mevel, a permis d’évoquer tous les aspects de la liberté de la presse (sécurité des journalistes, indépendance éditoriale, éthique). RSF a notamment exprimé son inquiétude quant à la sécurité des journalistes d’investigation quelques semaines après l’incendie de la maison de Milan Jovanović. Trois personnes sont d’ores et déjà sous les verrous pour le jet de cocktails Molotov qui aurait pu entraîner la mort du journaliste et de son épouse.

RSF observe une détérioration du climat de la liberté de la presse en Serbie. Le pays a chuté de dix places au classement mondial de la liberté de la presse de 2017 à 2018 (76e rang). Devant la multiplication des attaques verbales ou physiques contre des journalistes, RSF a invité le président Vučić à prendre la mesure de ces agressions afin d’y apporter des réponses. Le chef de l’État a fourni des éléments précis sur certaines enquêtes policières en cours et reconnu la nécessité de faire la lumière sur les meurtres de plusieurs journalistes commis dans les années 1990 et 2000.

RSF a aussi dénoncé le manque d’indépendance de nombre de médias serbes, notamment de la presse pro-gouvernementale, et le caractère arbitraire des attributions de la publicité publique. Aleksandar Vučić a invoqué l’existence d’une polarisation des médias, en affirmant la regretter, mais récusé le caractère discrétionnaire des subventions publiques aux médias. « Nous savons que nous devons changer quelque chose »” a-t-il néanmoins admis, notamment à propos des diffamations et insultes dans les médias. RSF regrette que, malgré un cadre légal satisfaisant, le président ne s’attache pas à mettre des solutions sur la table pour une application pertinente des lois.

Affirmant son attachement à la liberté de la presse malgré les vives critiques dont il fait l’objet, Aleksandar Vučić a demandé à RSF d’apporter son expertise pour améliorer la situation des médias sur les questions de régulation. Il a affirmé être disposé à fournir à RSF tous documents utiles pour vérifier les modalités de l’attribution des subventions publiques aux médias. Il a enfin fourni des documents sur la « stratégie des médias », cette initiative gouvernementale récurrente censée favoriser le développement des médias. Après une consultation notamment d’organisations internationales comme l’OSCE, les documents ont été remis à la Première ministre le 27 décembre et pourraient être soumis au Parlement à la fin du mois de février, selon une source proche du président. Lequel a assuré ne pas les avoir lus, au motif qu’il se consacre prioritairement à l’économie du pays.

« Nous considérons que le président serbe, au motif de la parution d’allégations excessives et abusives dans certains organes d’information parfois secondaires, occulte la réalité de son influence ou de celle de son parti sur une partie des plus grands médias, notamment télévisuels », déclare Christophe Deloire. « Comme Vučić reconnaît volontiers des erreurs passées et qu’il propose une ouverture, nous croyons utile de prendre acte de ses engagements verbaux. Nous considérons toutefois que la défense du journalisme suppose des mesures concrètes. Plutôt que de s’adonner à une critique des médias, le chef de l’État devra prouver par des mesures concrètes la sincérité de ses discours. Ses déclamations de sincérité sont trop souvent démenties par le comportement de membres de son entourage politique et le contrôle de certains médias. »

RSF prend note avec satisfaction du communiqué publié par la présidence après l’entretien dans lequel le chef de l’État serbe affirme souscrire aux principes de la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie, rédigée cet automne par une commission indépendante à l’initiative de RSF : « La Serbie soutient les principes de cette déclaration et nous pensons que rejoindre le groupe de pays signataires permettrait d’améliorer à la fois la situation des médias et des processus démocratiques dans leur ensemble », a déclaré Aleksandar Vučić.

RSF formulera des propositions à la présidence pour améliorer l’indépendance et la qualité du journalisme en Serbie.