Blog • L’Europe à 27 et à plusieurs vitesses se retrouve à Rome

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Ce 25 mars, le soixantième anniversaire du Traité de Rome réunira à Rome 27 pays pour célébrer la signature d’un traité à l’origine d’un projet de coopération qui naissait autour de six pays fondateurs et qui poursuivait un objectif précis : la création du marché commun européen. Les célébrations de Rome seront l’occasion pour rappeler l’histoire du processus d’intégration européen, mais aussi pour commencer à imaginer une « vision » du futur de l’Europe, l’Europe de 2025, comme déclaré par le Président de la Commission Juncker dans la Préface de au Papier blanc sur le futur de l’Europe.

Par suite du Brexit, le nombre des pays membres de l’Union qui va se rencontrer à Rome est revenu à vingt-sept, comme avant l’adhésion de la Croatie à l’Union. Le Brexit a fini pour enrichir ultérieurement une « géométrie variable » des coopérations à l’intérieur, tout comme en proximité de l’Union européenne, qui est dans les faits déjà en place et que voit des niveaux différents se superposer les uns aux autres. Il y a le groupe des dix-neuf pays appartenant à la zone de l’euro, les vingt-sept de l’Union, les vingt-sept plus quatre de l’AELE (Association européenne de libre-échange) qui constituent ensemble l’EEE (Espace économique européen), les vingt-sept plus quatre pays constituant l’Union douanière européenne. En proximité de l’Union européenne on trouve les pays faisant partie du Processus de stabilisation et d’association préparant à l’adhésion, ceux de la politique de voisinage européenne, etc., …

Une terminologie déjà utilisée dans le passé est redevenue à la mode dans les débats récents sur le futur de l’Europe : comme l’Europe « à plusieurs vitesses », le « noyau dur » des pays disposés à progresser dans le processus d’intégration. Dans un débat récent en Italie au cours d’une conférence sur l’Europe à plusieurs vitesses on a aussi récupéré un vieux terme de la politique italienne, celui des « convergences parallèles », comme synonyme des nouvelles formes de coopération qui devraient permettre de concilier différentes opinions et volontés.

D’ailleurs, encore une fois, et le document de la Commission le rappelle en utilisant en épigraphe les mots toujours valables de Robert Schuman de sa déclaration du 9 mai 1950 : l’Europe se fera par l’achèvement de « résultats concrets » et ces résultats donneront lieu à une « solidarité dans les faits », fruit de la réalisation de formes de coopération dont les Etats doivent être retenu responsables. Ceci-ci a été toujours valable dans l’histoire de l’intégration et si l’on lit les cinq scénarios du « Papier blanc » des possibles évolutions futures de l’Europe, on se rend compte qu’au lieu d’un scénario ou d’un autre ce sera probablement une fusion de ces scénarios qui représentera le compromis que dans les faits, par le moyen des « résultats concrets » sera l’objet d’une sorte d’accord inter-étatique effectivement réalisable.

Ceci a toujours été le cas dans le passé. L’histoire de l’intégration nous l’apprend, ni entité fédérale, ni super-Etat, le processus d’intégration européen a toujours été un long chemin fait de petits achèvements dans les domaines et aux moments où les Etats étaient disposés à céder des morceaux de leur souveraineté. Cela pour l’histoire du processus d’intégration, mais on n’aurait pas eu de processus d’intégration si des personnalités fortes n’aient pas soutenu et réalisé ce projet, surtout à l’intérieur des institutions mêmes, derrière le traité de 1957 il y eu Robert Schumann et Jean Monnet ; derrière la réalisation du marché unique, comme du lancement du projet d’intégration économique et monétaire qui a conduit à l’euro, Jacques Delors.

Le rôle de la Commission a toujours été celui de de donner de l’impulsion, tout en sauvegardant les traités. En d’autres termes, de rénover dans la continuité. C’est bien ce qu’elle est en train de faire lorsqu’elle prédispose une table de discussion avec des scénarios à choisir, mais au même temps c’est la même Commission que quinze jours avant dans le projet de réforme de la Comitologie, un des aspects le plus subtils et délicats du mécanisme de prise de décision à l’intérieur des institutions européennes, propose dans les faits de retirer la Commission de l’arène, pour qu’elle ne soit pas la seule à « payer pour des décisions impopulaires ». Certes, dans le cas de la Comitologie on a plutôt à quoi faire avec les phosphates, que le terrorisme, mais ça ne change pas la donne : c’est renoncer, dans certains domaines, à donner l’impulsion, c’est laisser aux Etats, ou dans le cas spécifique aux représentants de Etats qui siègent dans les commissions, d’où le terme de Comitologie, de décider entre eux (à la majorité des votants, abstenus exclus, et si on arrive pas on propose en sursis un niveau ultérieur de décision).

Ce qui inquiète le plus c’est que pour sauver la Commission d’éventuelles ambages on finit par menacer un mécanisme prometteur, du moins d’après les études récentes, pour la recherche de solutions alternatives de gouvernance, apparemment utiles justement pour faire face aux nouvelles défis.

Une Europe à plusieurs vitesses comme la réforme de la Comitologie conduisent à un retirement des positions « communautaires », ou de la recherche de formes de souveraineté partagée au niveau européen, pour des positions « intergouvernamentales ». Dans les faits renoncer à une Commission qui s’assume des responsabilités signifie donner libre jeux aux intérêts étatiques (« uti singuli ») et abandonner la poursuite des intérêts communs (« uti universi »). Le risque dans ce moment de crise est celui de voir les Etats membres partir l’un après l’autre et alors adieu aussi au scénario du « noyau dur ».

Il y a soixante ans le « noyau dur » existait et il était composé des six pays fondateurs, mais aujourd’hui on ne peut pas en être sûr. Et ce n’est pas la faute aux pays membres qui proviennent de l’Europe de l’Est, comme j’ai entendu dans le débat sus-cité, pour cause qu’ils ne serait pas encore prêts et donc disposés à renoncer à une partie de leur souveraineté récemment acquise. Heureusement que peu de pays des Balkans ont adhéré jusque-là, autrement avec de tels raisonnements la faute serait surement tombée sur eux. Mais la faute c’est aux pays de l’Europe de l’Ouest, dont le Royaume Uni fait partie, qui ont perdu le sens du projet commun, qui ont oublié les soixante années de paix et de relative prospérité économique en Europe.

Dans les soixante années d’histoire de l’intégration européenne on a perdu le projet « commun », celui de la Communauté du charbon et de l’acier, celui de la Communauté économique et européenne, ce projet s’est dilué non seulement dans le temps, mais entre les pays participants, tant qu’on en a déjà eu un qui en est parti, mais cela n’empêche que les défis communes restent et qu’on ne peut pas penser de les résoudre tous seuls, mais probablement non pas par petits groupes.