Blog • 25 ans après, Sarajevo ville d’avenir

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Comment garder espoir en ces temps incertains ? Le blog de Wolfgang Petritsch et Christophe Solioz.

© Christophe Solioz

Vingt-cinq ans après le début de la guerre en Bosnie, le 6 avril 1992, le moment est venu de mettre un terme aux errances de l’après-guerre. Si dans un premier temps les résultats obtenus furent non négligeables, ils s’avèrent cependant décevants sur le long terme. Paradoxalement, tant la fin du quasi-protectorat que le processus d’intégration européenne ont renforcé les résistances locales, le blocage des réformes engagées ainsi que la paralysie des institutions bosniennes. Pire, la transition guerrière a cimenté les clivages communautaires et sociétaux. A ce constat navrant s’ajoute aujourd’hui un contexte international en profonde mutation qui nécessite de reconsidérer la situation de la Bosnie.

Au niveau régional, l’adhésion à l’Union européenne de la Croatie ne favorise en rien le processus de réintégration institutionnel de la Bosnie. Après des décennies de présence et d’ingérence afin de consolider la stabilité des Etats des Balkans occidentaux et de favoriser la coopération régionale, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. A cela s’ajoute que l’intégrité territoriale de certains pays comme la Bosnie, la Macédoine et le Kosovo est loin d’être garantie. Simultanément, l’influence convergente de la Russie et de la Turquie augmente d’autant que diminue celle de l’Union européenne. Plus inquiétant : la remise en question de l’ordre international, un monde occidental de plus en plus affaibli et le retour des questions de sécurité en Europe centrale et occidentale. Bref, les similitudes effrayantes avec les années 1930 se multiplient. S’il importe certes de ne pas céder au « démon de l’analogie », on ne peut qu’être consterné par le manque de réaction des politiques.

Bref, ce n’est de loin pas « le meilleur des mondes possibles » pour résoudre les problèmes laissés en plan en Bosnie.

Si le sommet de l’Union européenne de Thessalonique de 2003 promettait un rapide élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux, Bruxelles n’a pour le moins pas tenu parole. Seule la Croatie fait exception et a su tirer son épingle du jeu en devenant Etat-membre de l’UE en 2013. Pour le reste, la stratégie européenne du maintient du statut quo s’est substituée à l’intégration promise.

Concernant la Bosnie, il n’en demeure pas moins que l’Union européenne doit assumer ses responsabilités et ce plus particulièrement dans deux domaines.

Premièrement, l’Accord de Paix de Dayton (signé à Pairs) a vécu. S’il devait faire sens en 1995, il obstrue actuellement l’avenir du pays. La responsabilité des acteurs locaux, régionaux et internationaux est ici pleinement engagée. D’où la nécessité d’engager un processus « Dayton II » et de mettre un terme au Märchen sordide des deux entités qui n’ont aucune légitimité historique. Il est donc indispensable de rouvrir la boîte de Pandore afin d’en libérer ce qui s’y trouvé encagé : l’espoir.

Deuxièmement, il importe de rappeler que de tout temps l’intégrité territoriale de la Bosnie a toujours été protégée et garantie par un cadre fédéral plurinational : d’abord celui de l’Empire ottoman, ensuite celui de l’Empire autrichien puis austro-hongrois, et, enfin, celui constitué par les différents Etats yougoslaves. Aujourd’hui, seule l’Union européenne est à même de procurer un tel référentiel à la Bosnie. D’où la priorité d’en garantir au plus vite l’intégration — un partenariat renforcé pourrait constituer une étape intermédiaire ne devant cependant pas renvoyer aux calendes grecques la perspective d’adhésion. Le cas de la Turquie illustrant les dérives autoritaires d’un pays restant interminablement sur le pas de la porte.

La clé de l’avenir de la Bosnie réside toutefois dans un processus politique soutenu par les forces politiques et citoyennes bosniennes.

Dans sa lettre de 1992 aux citoyens de Sarajevo alors assiégée, l’architecte Bogdan Bogdanović soulignait que la défense de la ville était le seul choix éthique possible pour l’avenir. L’esprit de Sarajevo, un élan fort et indestructible, illustre ce que Bogdanović appelle l’ « essence de la ville ». Et de poursuivre : « nous portons tous en nous, notre ville éternelle – dans la mesure où il nous est impossible de structurer d’une autre façon le monde qui nous entoure ». Certes, une telle essence ne tombe pas du ciel. Il nous revient de l’actualiser.

La dialectique entre l’essence et le destin de la ville dévoile la solution d’un possible processus de réintégration de la Bosnie. Sarajevo — comme d’autres villes bosniennes, Mostar, Tuzla, Banja Luka, Brčko et Bihać — constitue à nos yeux un pôle urbain cheville ouvrière d’une structure territoriale composée de régions. Un tel projet a été esquissé à plusieurs reprises par des intellectuels et politiques bosniens, mais systématiquement ignoré par les experts internationaux. Un tel redécoupage est bien plus en phase avec l’histoire du pays et adapté aux défis que la Bosnie doit relever que celui, aberrant et inique, des deux entités et du district autonome de Brčko.

Une nouvelle génération doit s’engager sur ce terrain. Si le « printemps bosnien » de 2014 s’est quelque peu essoufflé, il n’en a pas moins semé des graines d’espoir. Le principe d’espérance, plus fort que peur et désillusions, a l’avenir pour lui. La scène artistique bosnienne illustre la voie à suivre. L’art, qui nous rapproche de la vérité, pouvant servir de boussole en ces temps incertains.