Balkans Media Days : la colère des journalistes, le silence de l’UE

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Les Balkans Media Days viennent de se terminer ce 10 novembre à Tirana. Bien loin du politiquement correct attendu, les débats ont donné lieu à des discussions intenses et dressé un portrait bien sombre de la liberté de la presse dans la région. Mais l’UE a-t-elle bien reçu le message ?

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Par Louis Seiller

© EU NEAR

C’est dans une salle comble où se pressent près de 250 professionnels des médias que se lancent en grande pompe à Tirana, jeudi 9 novembre, les Balkans Media Days, une rencontre régionale organisée par le Commissaire européen à l’Élargissement et à la Politique européenne de voisinage, Johannes Hahn. Reconnaissant l’importance de la liberté de la presse, le Premier ministre albanais Edi Rama crée pourtant un certain malaise en ouvrant cette série de conférences dédiée à un secteur en mal d’indépendance. Son très étrange tweet inaugural — « Les mots tuent en premier, les balles suivent », une citation du journaliste Adam Michnik — n’a pas réussi à faire oublier ses récentes insultes envers la profession, bien au contraire.

Les officiels partis, le principal débat de la matinée, mené par le correspondant régional de The Economist, Tim Judah, suit son train : un long fleuve tranquille de déclarations convenues. Il faut attendre près d’une heure pour que le politiquement correct vole en éclats suite à l’intervention de Branko Čečen, du Centre pour le journalisme d’investigation en Serbie (CINS). Debout, vêtus de tee-shirts noirs enjoignant l’Union européenne à faire plus — #EU do more —, une quinzaine de journalistes rappellent la dramatique situation de la presse indépendante dans la Serbie d’Aleksandar Vučić.

Le compte Twitter de l’un des portails les plus critiques du gouvernement Rama, Exit.al, a été bloqué à l’occasion de cette réunion. Comment le justifiez-vous ?

Une intervention libératrice. Les doléances des journalistes, passées sous silence, vont entretenir la suite du débat. Dressant un tableau bien sombre de la région, ils interpellent de nombreux observateurs peu au fait de la situation. « Le compte Twitter de l’un des portails les plus critiques du gouvernement Rama, Exit.al, a été bloqué à l’occasion de cette réunion. Comment le justifiez-vous ? » Directement prise à partie par la journaliste albanaise Alida Karakushi, la cheffe de la Direction générale du Voisinage et des Négociations d’élargissement de lа Commission européenne, Genoveva Ruiz Calavera, a bien du mal à se tirer d’affaires.

Les discussions entre professionnels continuent dans les couloirs. « Répéter sempiternellement ces débats sur l’ère digitale ou la transition ne résout pas les problèmes des journalistes. » À l’instar de cette éditrice kosovare, les acteurs présents ont du mal à contenir leur colère. « Ce genre de conférences, c’est de l’argent jeté par les fenêtres, alors qu’il pourrait tellement mieux servir ailleurs... » Embarrassés, des représentants de la Commission le reconnaissent : « Il faut que vous nous aidiez à mieux utiliser les fonds que nous dépensons ici ».

« Les journalistes gagnent 300 euros par mois et sont licenciés par un simple texto. » Pour conclure ces journées, la cheffe de la délégation de l’UE en Albanie, Romana Vlahutin, dépeint un portrait réaliste du métier de journaliste dans le pays. Pas sûr que cette soudaine prise de conscience n’apaise l’agacement de la profession. Dans sa dernière déclaration, Johannes Hahn assure que « les médias peuvent contribuer à construire des ponts plutôt que d’approfondir les divisions ». Les dirigeants de la région apprécieront.

Cet article est produit en partenariat avec l’Osservatorio Balcani e Caucaso pour le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), cofondé par la Commission européenne. Le contenu de cette publication est l’unique responsabilité du Courrier des Balkans et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.